Choisy au Bac en 1914


A la confluence de l’Aisne et de l’Oise, couloirs traditionnels d’invasion, Choisy-au-Bac aurait pu être transformé en champ de bataille. Adossé aux massifs forestiers de Laigue et de Compiègne, sa situation cependant ne convenait pas aux armées modernes dans leurs phases de mouvement qui risquaient de s’y trouver ralenties et piégées. De même l’absence de relief ne favorisait pas la guerre de position. La localité fut donc traversée rapidement à chaque épisode, ce qui ne l’épargna pas pour autant.

L’ invasion d’aout-septembre 1914
 
Dans l’après-midi du 29 août 1914, le général Joffre rencontra le général French à Compiègne et lui demanda de stopper la retraite de la British Expeditionary Force (B.E.F.). Ce dernier refusa et les troupes britanniques engagées depuis le 24 dans la puissante retraite de Mons atteignirent le lendemain la vallée de l’Aisne. La protection du flanc ouest était assurée par la 1 Cavalry Brigade qui trouva un repos fort apprécié à Choisy-au-Bac : « le régiment cantonne au château du Vivier, une belle bâtisse de caractère qui appartient à un parent de notreinterprète, l’officier Labouchère du 8 Dragons. De belles terres. Mes chevaux dans un verger. Le mess du PC dans le château. Vers 14H: omelettes, pommes de terre, macaroni, et un tas de bordeaux. Si nous pouvions rester là un jour ou deux les chevaux seraient vite retapés. Beaucoup d’entre nous se sont baignés dans les douves qui entourent la maison. Dîner à 18H: poulet, porc, canard et de nombreux bordeaux .

D’autres goûtèrent au confort de la maison de Madame Binder Mestro, partie le matin même pour Paris en entassant tout ce quelle pouvait dans trois voitures. Le domestique et le jardinier fournirent du vin en abondance, des lapins, des fruits et un bon bain apporta une touche finale à ce repos de courte durée . La brigade partit le 31 à 4H30 en direction de Compiègne.
Le cimetière communal abrite une sépulture britannique qui pourrait passer inaperçue tant elle est nichée entre des thuyas. On peut y lire: « Ici repose le Lance Corporal David McKAY du 5 (Royal Irish) Lancers, mort le 10 septembre 1914 ».
La 3 Cavalry Brigade à laquelle ce régiment appartenait se trouvait vers Mortefontaine le 31 août, comment expliquer alors la présence de cette sépulture ? Le Daily Express rapporte qu’un soldat de retour avait remarqué cette tombe isolée et fleurie chaque jour. Il interrogea un paysan qui lui indiqua qu’un soldat anglais s’était écroulé mort de fatigue dans un chariot pendant la retraite. A son réveil 36H plus tard il fut découvert, des Allemands lui tirèrent dessus depuis l’autre rive et il riposta. Il toucha six officiers dont un général (cela semble plus tenir de la légende) et quelques soldats avant de tomber criblé de balles. La date officielle de sa mort ne concorde pas, mais cet événement est une hypothèse qui peut expliquer les exactions dont il va être question.
La route menant à Compiègne était tenue par deux compagnies du 13 Régiment d’infanterie Territoriale. Cette unité était affectée au service de l’Arrière et des Etapes et ne possédait aucune mitrailleuse ni voiture, même les munitions étaient rares. Il n’était donc pas question de combattre et le repli fut ordonné .
Le pont de Choisy ayant sauté ainsi que celui du chemin fer de Compiègne à 11H00, la population qui n’avait pas évacué se retrouvait donc isolée. On racontait alors de terribles histoires sur la cruauté des cavaliers allemands, les Uhlans en particulier, qui coupaient les mains ; de leurs côté les Allemands avaient la hantise des francs-tireurs depuis la guerre de 1870-1871. C’est dans ce contexte que se commirent les crimes de guerre dans le village qu’ils occupèrent le 31 août. Les Allemands déclarèrent avoir essuyé des tirs et par conséquent, les 1ers et 2 septembre, le village fut mis à sac en présence d’officiers, ce qui signifie que les soldats agirent sur ordre. On vit même, dit-on, deux médecins avec brassards de la Croix-Rouge piller la demeure de Madame Binder.

Après le pillage, 45 maisons furent incendiées et l’on retrouva plus tard sous les décombres le corps carbonisé de Nicolas Troquit âgé de 73 ans. La fureur de l’occupant aurait pu naître du refus du boulanger de servir du pain et le feu aurait été mis à la boulangerie uniquement. Cette thèse n’est pas à écarter, si l’on se réfère au témoignage de Théophile Dufrier instituteur  et secrétaire de mairie : « Un officier allemand, qui était en train de prendre les armes déposées à la mairie m’a dit qu’on n’avait voulu brûler qu’un seul immeuble et que le vent aurait fait le reste ».
Le 8 septembre la famille Morel était revenue au village. Vers 20 heures le mari sortit dans son jardin, il devait ignorer qu’il y avait un couvre-feu. « Il fut aperçu par une patrouille allemande qui passait dans la rue. Un soldat tira sur lui et l’atteignit au rein gauche; la balle sortit par l’aine. J’ai reçu Morel dans mes bras au moment où il tombait. Oh Marie ! s’écria-t- il, je suis tué. Je l’ai transporté sur son lit, et il est mort le lendemain ». Quatre otages furent arrêtés le même jour et furent emmenés le 13 au moment du repli: René Leclère (18 ans) aurait été fusillé à Besme (Aisne) après une tentative d’évasion, son frère aîné Marcel (20 ans) resta captif toute la guerre. Raymond Grevet (19 ans) parvint à s’échapper, le sort de Georges Hanniquet (17 ans) est inconnu. Sans l’épisode  dramatique du début septembre 1914, Choisy-au-Bac aurait traversé la Grande Guerre sans trop souffrir. Après la bataille de la Marne les troupes françaises se lancèrent à la poursuite des Allemands qu’il fallait talonner au plus près pour les empêcher de se reprendre.
La 8 e DI qui se dirigeait initialement sur Morienval reçut l’ordre le 13 septembre de marcher par Rethondes sur Choisy pour assurer la liaison avec la 37e DI qui refoulait l’ennemi sur la rive droite de l’Oise avec la 7e DI qui s’avançait quant à elle vers Tracy- le-Mont. Le 115e RI, dont un bataillon assurait l’avant-garde, ne rencontra aucune trace de l’ennemi.
Rethondes fut atteint à 16H30, les éléments de tête entrèrent à Choisy à 18H30 et un détachement fut poussé jusqu’au Plessis-Brion. L’Etat-major et deux bataillons du 115 e RI, le 117e RI et un groupe d’artillerie cantonnèrent à Choisy qui ne connut jamais une telle affluence de toute la guerre. Un bataillon du 117 e RI et un peloton de cavalerie furent envoyés à l’aube au carrefour du Puits d’Orléans pour fouiller la forêt de Laigue, mais les seuls soldats rencontrés furent ceux du 131e RI qui arrivaient de Saint-Léger.
Le lendemain en fin de matinée les troupes reprirent leur progression 5. La localité se trouvait désormais à l’arrière, suffisamment loin des lignes, qui se fixèrent vers Bailly et Tracy-le- Val pour ne pas être à portée des tirs d’artillerie.
 
 
Extrait de "Choisy au Bac et les deux guerres mondiales" de Marc Pilot
Annales historiques 115-116 - automne 2009