"D'un hôtel particulier situé sur la place, en face même du palais, s'échappent depuis deux jours, des cris joyeux, des éclats de rire et des chants. Une bande d'officiers, de sous-officiers et de soldats s'en sont emparés, y ont amené des filles, et l'orgie allemande librement y fait rage. Des fenêtres du rez-de-chaussée, les officiers appellent les camarades qui passent ; les simples soldats suivent leur exemple ; par la grille laissée ouverte, l'on aperçoit des coffres d'argenterie déjà vides, des malles éventrées, un entassement d'objets brisés, des tables avec des bouteilles de Champagne cassées. L'on entre, l'on boit et l'on mange, puis l'on s'en va... ou bien l'on reste ; toute la garnison à casque pointu de Compiègne y aura passé ; personne, par exemple, ne sort les mains vides.
Un service spécial a été organisé ; de l'hôtel du comte d'O., aux trois camions à bâches vertes, je vois revenir ces bons tringlots pliant sous le poids du pillage. Admirable méthode ! Discipline non moins admirable ! Devant les camions, un sous-officier contrôleur a pris place ; confortablement assis à une table, il examine les objets avant de les faire serrer dans les camions ; il fait l'office de commissaire-expert : il évalue et enregistre. J'ai vu des officiers qui traversaient la cour s'arrêter, prendre en main un bijou qu'on leur tendait, le retourner entre leurs doigts, le regarder de près, enfin le mettre dans leur poche."
Extrait de "La guerre devant le Palais" de Gabriel Mourey -1915