Les troupes campées sur la falaise au dessus de Margny commencèrent bientôt à descendre et à se masser sur les bords de l’Oise. Une compagnie de pontonniers allemands eut tôt fait d'édifier un pont provisoire. On estime que les ennemis ne perdirent pas plus de deux heures du fait de la destruction du pont. D’ailleurs le lendemain, les pontonniers établirent à côté du premier un second pont construit sur des péniches qu'ils réquisitionnèrent sur la rivière. Le pont provisoire fut alors enlevé, pour être transporté sans doute plus loin.
Les troupes allemandes purent alors traverser Compiègne pour gagner Verberie et Senlis, ou Crépy. Elles appartenaient toutes à l'armée de von Kluck, et avaient comme avant-garde le 4°corps allemand. Les colonnes qui venaient de la rive droite de l’Oise et qui traversaient la rivière suivaient ordinairement la rue Solférino, la rue Saint-Corneille et la rue de Paris. Celles qui venaient de la route de Choisy prenaient plus volontiers la rue d’Ulm, la place du Palais, la rue Mounier et la rue de Pierrefonds.
Les Allemands donnèrent aux compiégnois l’impression d’être harassés de fatigue et de mourir de faim. Un habitant du boulevard du Cours qui eut la curiosité d’assister nuit et jour à leur passage dit qu’au moindre arrêt dans la marche de leur colonne, les hommes se couchaient et mendiaient du pain. Les chevaux rongeaient l’écorce des arbres et même les bancs de bois de la Promenade. Certaines unités avaient fait 50 kilomètres par jour pendant toute la semaine précédente. Naturellement les services de ravitaillement n’avaient pas pu suivre ce train d'enfer et hommes et bêtes étaient affamés. Depuis trois jours ils n’avaient rien mangé. Les officiers eux-mêmes se plaignaient.
Pourtant ces allemands étaient de fort beaux hommes appartenant presque tous à la réserve de l'armée active. Il y avait entre autre une division de réserve de la garde prussienne……..
Il en défila pendant quatre grands jours ou plus exactement pendant quatre grandes nuits. Le passage des troupes avait lieu de nuit de préférence. Les Compiégnois de la rue d’Ulm et du boulevard du Cours assistaient tous les soirs au même spectacle .Vers huit heures du soir les troupes se mettaient en marche, par colonnes par huit le plus souvent en utilisant même les trottoirs; elles avaient ordre de faire le moins de bruit possible. Le premier jour,la curiosité avait été plus forte que la crainte chez les habitants et une foule énorme stationnait près du pont, en face du café de l'Oise; mais les Allemands eurent tôt fait de trouver cette curiosité indiscrète et ils intimèrent sans ménagements l'ordre à tout ce peuple de déguerpir au plus vite
Presque tous les régiments chantaient mais du bout des lèvres et plutôt dans le but d'impressionner la population. D’ailleurs les hommes ne le faisaient jamais spontanément Ils marchaient ordinairement d’un pas lourd abêtis par la chaleur et par la fatigue. Tout-à-coup une voix rogue hurlait au milieu de la colonne : « Singen ! » (Chantez !) et sans même relever la tète, comme accomplissant une corvée qui ne leur disait pas grand-chose, ces hordes de brutes chantaient. Oh ! Leur répertoire n’était pas compliqué. Il ne fallait pas les sortir du « Wacht am Rhein » et du « Deutchland uber alles » Ils ne savaient aucune chanson de route, si délicieusement simplistes qu’entonne le soldat français.
"Les Allemands à Compiègne" de A Warusfel - Gazette de l'Oise , 15 janvier 1915 et suivants