Les Allemands en déroute

Louis le Barbier écrit dans ses souvenirs :

Les Pilleurs, tiré de L'Illustration - oct. 1914« A partir du 9, les Allemands sont manifestement en retraite. Il passe des détachements revenant du front, et ils sont en assez piteux état. Ce ne sont plus les belles troupes fraîches, hier équipées, à effectifs pleins, que nous avions vues monter vers Paris quelques jours auparavant, traversant la ville en chantant. Il me souvient notamment d'un détachement du 1 poméranien qui, le soir du 10 septembre, revint à Compiègne. Les hommes étaient fourbus, sales, véritablement à bout de souffle. Nous avions vu, quelques jours auparavant passer ce même régiment, dans sa marche vers Paris. Il était magnifique : les compagnies étaient au grand complet, les uniformes propres, les hommes très mordants. Le soir du 10 septembre, je rentrais chez moi vers huit heures et demie. J'aperçus au coin de la rue d'Alger et de la rue de la Sous-préfecture, cent cinquante à deux cents hommes — peut-être davantage— vautrés dans la rue, car on ne peut pas dire qu'ils étaient allongés ou couchés. A son premier séjour, ce régiment avait logé aux haras, et dans les maisons environnantes : battant en retraite il revenait à son ancien gîte, tel le gibier pourchassé. Sur un signal de sifflet, quinze ou vingt minutes plus tard, les hommes se relevèrent. A coups de haches, torches en mains, ils enfoncèrent les portes de toutes les maisons comprises dans le carré : boulevard Victor-Hugo, rue de Pierrefonds, rue d'Alger, rue de la Sous-préfecture. Il n'y eut pas une maison respectée : toutes furent envahies et les caves pillées; mais, fait à noter, et qui indiquait bien l'inquiétude de ces gens, aucun d'eux ne consentit à coucher au premier étage des logements. Ils descendirent les matelas, tapis, couvertures, et, toutes portes ouvertes, passèrent la nuit au rez-de-chaussée.
Le spectacle de ces soldats uniformément vêtus de couleur verdâtre et peu apparente, saccageant à la lueur sanglante des torches, des logis paisibles dans une ville où seuls résonnaient le bruit sourd des convois traversant la cité et l'écho des canonnades lointaines, était lugubre et donnait l'impression d'une mise à sac. Fait assez curieux, alors que les numéros impairs de la rue d'Alger et ceux pairs de la rue de la Sous-préfecture, étaient tous envahis et pillés, pas un coup ne fut frappé aux portes ou aux volets des numéros pairs de la rue d'Alger, ou des numéros impairs de la rue de la Sous-préfecture. Ces hommes voulaient sans doute rester étroitement groupés et pouvoir vite se réunir en cas d'alerte. »

"Les Allemands à Compiègne" de Louis Le Barbier - 1915