La bataille de Tracy


PETIT HISTORIQUE DE TRACY LE MONT

Pendant la guerre Période du premier août 1914 au 25 août 1915
Par l’abbé CALLARD curé de Tracy le Mont.


Tracy le Mont sous la neige - musée du Mémorial de l'ArmisticeLA MOBILISATION
Le premier août 1914, le clairon, les sirènes des usines jettent leur cri d’alarme, et leur appel aux armes ; l’ordre de mobilisation générale est affiché dans les rues de Tracy le Mont, et dès le 2 août, la mobilisation s’exécute, tous y répondent gaiement.
Dans notre village industriel, les usines cessent le travail et les ouvriers, sans distinction font l’union dans le but de repousser l’ennemi prêt à envahir le sol sacré de la Patrie. Au jour indiqué, chacun quitte sa famille pour rejoindre son régiment. Ceux qui partent comme ceux qui restent ont l’espoir que la guerre sera courte et que pour la Noël, l’allemand vaincu sera repoussé à Berlin et demandera la paix.

AOUT 1914

Pendant les premiers jours du mois d’août les habitants attendent les événements ; on ne sait pas grand chose de ce qui se passe ; les premiers communiqués nous donnent l’espérance, nos soldats sont rentrés en Alsace ; puis c’est l’inquiétude ; le son du canon parvient jusqu’à nos oreilles ; vient-il de la frontière ? Mais le bruit se rapproche de plus en plus, l’inquiétude augmente. Quelques enthousiastes bien intentionnés nous disent que ce sont des essais de tir que nos artilleurs exécutent au camp de Sissonne dans l’Aisne, département voisin ; cela redonne confiance et cependant des tristes convois des réfugiés du Nord, fuyant devant l’invasion passent sans arrêt dans nos rues…. Avez-vous vu les allemand leur demande t on ? Non ; mais ils sont maintenant chez nous… On ne veut pas les croire. D’autres, épuisés de fatigue s’arrêtent dans notre village, ils viennent d’Hirson et de Saint Quentin (Aisne) ; ils nous disent que le 28, l’on s’est battu dans les environs d’Hirson, que des ruisseaux de sang coulaient et que maintenant l’ennemi a certainement pénétré dans Saint Quentin. Et malgré tout, la confiance est si grande que des gardes voies renvoyés dans leurs foyers sont prêts à écharper ceux qui osent dire que l’ennemi est entré en France. Cependant, dès le 25 août, des motocyclistes, des autres belges passent chez nous, filant à toute vitesse sur Paris ; puis, les 28-29 et 30 août, les soldats anglais passent dans les rues du village, chacun admire cette petite armée alliée avec son magnifique matériel, les habitants ne savent que faire pour leur être agréables. On les interroge ; ces soldats nous répondent que nous n’avons rien à craindre qu’il n’y aura pas de combats dans nos régions trop boisées. Mais pourquoi donc se dirigent ils vers Paris et non vers la frontière ? Le 30 août, un aumônier anglais m’affirme que les allemands sont derrière eux et qu’il s’en trouve certainement déjà dans les bois de Carlepont, village voisin. Des habitants se refusent toujours à croire à ce récit, mais quelques instants après, changement complet, un cri s’échappe des poitrines ; les allemands sont à Cosne, dépendance de Tracy le Mont. Aussitôt l’arrière garde anglaise composée de cyclistes s’étage le long de la côte de Tracy et s’apprête à faire feu. C’est une fausse alerte, l’allemand n’est pas encore là ; mais il est bien près ; à Bailly, s’apprêtant à franchir l’Oise. En effet, le 31 août, dès la première heure, des « hussards de la mort », des uhlans traversent le village et se portent à toutes les issues.
 
PREMIERE VICTIME CIVILE DE LA GUERRE À TRACY LE MONT
Un jeune homme du pays, âgé de 20 ans, René NANCEL, qui se trouvait dans la plaine devant les uhlans, est abattu à coups de carabine. Son père qui revenait vers Tracy est arrêté, forcé de briser lui-même sa bicyclette et ramené au village avec un cheval le pressant dans le dos.
Dans le cours de cette journée, les troupes allemandes passent sans arrêt, l’infanterie sur les bas côtés de la route, artillerie et cavalerie sur le milieu de la chaussée. C’est un ballet ininterrompu. Les officiers obligent les habitants à mettre de l’eau devant leurs portes. Le soir, cantonnement des troupes ; les maisons fermées sont ouvertes à coups de haches ; pas de patience chez l’ennemi ; au premier ordre, les portes doivent s’ouvrir.
L’ennemi est harassé de fatigue après une marche de 75 Kms, me dit un général allemand ; victorieux, marchant à grand pas « Nash Paris … » il laisse l’habitant tranquille ; seules, les maisons abandonnées par leurs propriétaires sont pillées de fond en comble ; les commerçants voient disparaître entre les mains de l’ennemi les produits amassés dans leurs magasins. A ceux qui osent réclamer le paiement, de leurs marchandises, les allemands répondent « Poincaré paiera ».

SEPTEMBRE 1914
Le matin du premier septembre, au départ des troupes, un général de brigade m’affirme que le soir même l’allemand sera à Paris et cependant nous sommes à 80 kilomètres de la capitale. Les premiers jours de septembre, l’ennemi passe toujours en rangs serrés. Les possesseurs d’autos se voient fort inquiétés, menacés d’être fusillés lorsque leurs voitures ne veulent pas fonctionner. Le docteur Rochefort qui, à la suite d’un accident survenu un mois avant la guerre, a dû envoyer le volant de son auto à Paris, voit la mort de près, on veut le fusiller, incendier sa maison, finalement les allemands se contentent de mettre sa voiture en pièces. A partir du 6 septembre, l’on ne voit plus guère que des convois militaires qui ne cessent de circuler dans toutes les directions ; certaines de ces voitures sont chargées de mobilier, d’objets volés un peu partout « butin de guerre » disent les allemands ; hélas ! Nous voyons des civils français réquisitionnés par l’ennemi conduire ces voitures. Ce sont leurs premiers prisonniers civils qui auront tant à souffrir pendant toute la durée de la guerre. Les chefs de ces convois, souvent ivres, s’arrêtent pour piller ; ils menacent l’habitant de leur revolver ; pillent les maisons, et surtout vident les caves. ; Pendant ce temps, le bruit du canon se fait entendre du côté de Soissons, puis s’éloigne, mais bientôt se rapproche. L’espoir commence à renaître, les allemands n’ont sans doute pu prendre Paris et plus tard en effet, nous apprendrons l’épisode glorieux de la bataille de la Marne. Nous sommes anxieux cependant car depuis le 28 août, nous ne savons plus rien de ce qui se passe et en sommes réduits aux conjectures. Les 10 et 11 septembre le canon gronde toujours et se rapproche de plus en plus. Les allemands que nous revoyons, ont l’air soucieux mais ne disent rien. Le 12, le canon est à nos portes, les français commencent à franchir l’Aisne ; le soir du 12, nous entendons l’armée Allemande : cavalerie, artillerie, infanterie, reculer à toute vitesse dans les directions de Nampcel et de Tracy le Val. Nous sommes tout à la joie de revoir bientôt nos braves petits soldats, ne pensant nullement au danger qui nous menace.
 
LA DELIVRANCE
C’est le dimanche 13 septembre, dans la soirée, que nous devons avoir la grande joie de revoir nos soldats. Dans la matinée, les troupes allemandes descendues la veille vers Tracy le Val remontent et se dirigent vers la ferme d’Escafaut, bientôt  nous entendons le crépitement des mitrailleuses, l’on se bat dans la plaine. L’ennemi recule, mais hélas une auto mitrailleuse française qui les suit, vient d’avoir une panne, ceux qui la conduisent descendent, et quelques allemands cachés dans une pièce de lin les fusillent presque à bout portant. L’ennemi recule toujours, mais luttant pied à pied, il place des pièces de canon près de notre cimetière, l’artillerie française les fait taire et les oblige à se déplacer.
 
LE BOMBARDEMENT FRANÇAIS
Pendant 4 heures, de 11 heures à 14 heures, les obus de nos 75 sifflent sans fin au-dessus de nos maisons, un obus pénètre dans les murs de la mairie et éclate dans le logement de l’instituteur causant d’importants dégâts. Heureusement, la dame de l’instituteur, sa mère, son beau frère viennent de descendre à la cave, il n’y a pas d’accident de personne. Tous les habitants apeurés sont d’ailleurs descendus dans les caves et les carrières. L’ennemi établit son ambulance dans l’église, une centaine de blessés sont là. Des traînards allemands viennent se joindre à eux et pour se faire passer comme infirmiers se font des brassards avec une croix rouge avec l’encre dérobée à la Mairie. Un colonel allemand paraissant blessé au bras me déclare que l’artillerie française va tirer sur l’église dès qu’elle saura que celle-ci a été convertie en ambulance. Curé de la paroisse, je lui déclare sur l’honneur que jamais des français n’agiront ainsi ; il fait alors hisser trois drapeaux avec la croix de Genève.
 
ARRIVEE DES SOLDATS FRANÇAIS
Enfin, le soir, vers 10 heures ½ les soldats français pénètrent prudemment dans les rues du village. Quelle joie ! Avec quel enthousiasme sont accueillis nos soldats ; on les embrasse, on leur distribue des provisions qui restent, on les prévient de la fuite des allemands, et de l’établissement d’une ambulance ennemie dans l’église. Immédiatement, un sergent avec sa section pénètre dans l’église et fait l’ambulance prisonnière. Tous les habitants sortent avec confiance de leurs demeures et c’est à qui apportera des douceurs à nos braves soldats.
Le 14, nos troupes poursuivent les allemands en fuite sur Tracy le Val et Carlepont ; la poursuite se continue jusque la Pommeraye, et Cuts. Nous sommes heureux, la confiance est entièrement revenue, nous en serons quittes à peu de frais. Mais, hélas ! dans la nuit du 15 au 16 de nombreux renforts ennemis traversent l’Oise, au pont de Pontoise, se glissent dans les bois de Carlepont qui est repris par l’ennemi, notre 37eme division va être encerclée. C’est alors que la 3eme brigade marocaine cantonnée à Estrées Saint Denis reçoit l’ordre de reprendre Carlepont. L’après midi du 16, après une marche de près de 40 kilomètres par une chaleur étouffante, cette brigade arrive à Bailly, Tracy le Val et va par 2 fois, ces vaillants soldats qui n’ont pas encore combattu et sont ardents de se jeter dans la mêlée, chargent les allemands au Mont Pluqet entre Tracy le Val et Carlepont. De nombreux français tombent, mais les allemands reculent. Le 17, journée sanglante dans Carlepont : combats de rue à rue, de maison à maison, sept charges à la baïonnette. C’est alors que les allemands pour arrêter la ruée des nôtres usent d’un procédé ignoble et barbare ; ils ont ramassé ce qu’ils ont pu de civils dans Carlepont, et surtout des femmes et des enfants et les ont fait placer devant eux, formant ainsi un barrage vivant en avant d’eux. Carlepont est cependant repris et la 37eme division qui se trouve à Cuts, sans munitions, presque encerclée peut se replier par la trouée qui est faite ; une partie de l’artillerie reste entre les mains de l’ennemi.
Le 18 septembre, nos troupes fouillent Carlepont. Les derniers allemands qui s’y trouvent sont tués ; elles battent ensuite en retraite vers Tracy le Val. Pendant ces terribles journées, notre église, nos écoles, les maisons voisines sont transformées en ambulance et reçoivent un grand nombre de blessés. Les 16, 17, 18 septembre, près de 2000 blessés sont reçus dans cette ambulance, les autres ont été faites prisonnières à Cuts, Caisnes, Carlepont. Les médecins, les brancardiers, les infirmiers sont débordés. L’ambulance n’a plus de pansements, plus rien à donner à ses blessés, les habitants viennent à leur aide ; c’est à qui apportera du bouillon, des boissons chaudes, du linge pour alléger les souffrances de tous ces braves qui ont versé leur sang pour la défense de notre pays. Plus de 60 soldats meurent des suites de leurs blessures et sont inhumés par les civils dans des fosses communes au cimetière communal. Qu’ils reposent en paix dans cette terre française qu’ils ont arrosée de leur sang et que Dieu accepte leur sacrifice !
 
JOURS D’ANGOISSE
Nous allons vivre toute une semaine de jours d’angoisse : les allemands vont-ils reprendre Tracy : allons nous retomber sous le joug ennemi ? Le 18 septembre, la brigade marocaine tient le cimetière de Tracy le Val ; dans la nuit du 18, le 19, combats au Quesnoy, près de Tordoir, à Nervaise, dépendances de Tracy le Mont, mais les allemands ne peuvent pénétrer dans la commune.
Le 20 septembre, sanglants combats à droite et à gauche des carrières de Bimont, près de Tracy le Mont. Les 3 zouaves et 3 tirailleurs font des charges furieuses pour arrêter l’ennemi et nombre de soldats restent sur le terrain. Malgré leur héroïsme, nos soldats ne recevant pas de renforts sont obligés de se replier légèrement, abandonnant ce qui reste d’artillerie dans les mains de l’ennemi. Il ne nous reste dans ce secteur que quelques canons qui se déplaceront pour tromper l’allemand. Les poitrines de nos soldats resteront seules pour opposer un rempart à l’entrée de l’ennemi dans Tracy le Mont et jamais le soldat boche n’y remettra les pieds. Dans la direction de Quennevières, et de Tracy le Mont, les braves troupes doivent reculer devant le nombre et reculer vers l’Escafaut.
 

BARBARIE ALLEMANDE – L’INCENDIE DE TRACY LE VAL

Les ruine de Tracy le Val - musée du Mémorial de l'ArmisticeLe soir du 21 septembre, une lueur sinistre embrasse le ciel. C’est notre sauvage ennemi qui, en quittant les maisons de Tracy le Val qu’il ne peut conserver, y met le feu à la torche et avec des grenades incendiaires. Les malheureux habitants n’ont que le temps de se lever et de s’enfuir à demi vêtus. Ceux qui s’enfuient vers Carlepont resteront prisonniers civils. Ils partiront dans les environs de Noyon où pendant toute la guerre ils auront à endurer des souffrances et des privations de toute nature. Ceux qui, plus heureux, ont pu s’enfuir vers nos lignes, sont d’abord accueillis par des coups de fau de nos soldats qui dans l’obscurité de la nuit ne savent à qui ils ont affaire. Monsieur Bernard Alfred, adjoint, faisant fonction de maire de Tracy le Mont, est alors appelé aux avants postes, les gens crient leur nom, Monsieur Bernard déclare qu’il les connaît et ils peuvent enfin passer et se réfugier à Tracy le Mont. La défense de notre village a été organisée, nos rues se hérissent de barricades de fortune faites de voitures, de tonneaux, de cuviers, de tables, d’ustensiles de toute sorte ; les murs de nos jardins sont troués de meurtrières. Les premiers et deuxième bataillons du 2 zouaves sont dans la plaine entre Tracy et Quennevières ; de sanglants combats s’engagent partout, les balles perdues arrivent en grand nombre dans le village et viennent même blesser les personnes qui, devant l’église s’occupent toujours de nos blessés. Les nombreuses petites croix de bois éparpillés partout dans la plaine témoignent aujourd’hui de la violence des combats.
 
LA BATAILLE – BRAVOURE DE NOS SOLDATS
Le 23 septembre, ordre est donné à nos troupes d’attaquer, le brouillard est intense, nos soldats s’avancent, sans bruit, sans un coup de feu ; au ravin de Puisaleine, à Quennevières, nos soldats sont fauchés à bout portant par les mitrailleuses allemandes et obligées de se replier ; le 25, nouvelle attaque plus rapprochée de nous ; au ravin des Trois Frênes ; de nouveau, nos soldats se heurtent aux mitrailleuses, ils se font tuer sur place et ne cèdent pas un pouce de terrain. Que d’actes d’héroïsme inconnus dans la nuit du 25 au 26 septembre, devant la pression et l’héroïsme des nôtres, les allemands se replient sur Puisaleine.
 
LA DESTRUCTION
Il faut dire que pendant ces journées du 20 au 25 septembre, l’artillerie ennemie s’acharne sur notre malheureux village. Les obus éclatent partout, les shrapnells pleuvent sur nos maisons ; c’est un vacarme assourdissant. Le quartier de la mare reçoit surtout ses coups et de nombreuses maisons sont entièrement détruites.
 
VICTIMES CIVILES
Malheureusement nous comptons aussi des victimes parmi la population civile. Cinq de nos concitoyens tombent victimes de leur attachement au foyer. L’incendie causé par les obus incendiaires fait ses ravages un peu partout, à Tracy le Mont ; à Ollencourt et Nervaise, civils et soldats essayent de les éteindre et de mettre les pompes en batterie, mais l’ennemi tire sur eux et les oblige à se réfugier dans les caves. Journées terribles et inoubliables pour tous ceux qui les ont vécues.
 
LA FAIM
A cette époque aussi, la population civile souffre de la faim; plus de pain ; tous les fours ont été atteints par les obus ; nos braves soldats voyant notre misère partagent avec nous leur maigre ration.
 
OCTOBRE 1914
L’ennemi a été repoussé dans le bois Saint Mard ; il se terre et dès lors va s’ouvrir dans notre région cette guerre souterraine chère aux allemands, la guerre de tranchées, le soldat français saura se montrer aussi brave que dans la guerre en rase campagne. Malgré le froid, les pieds gelés, la boue, la faim, les engins sans cesse plus meurtriers, les gaz, les vaillants régiments, zouaves, tirailleurs, Bretons aussi tenaces que braves tiendront tête à l’allemand « On ne passe pas » en attendant que l’arrivée de nos glorieux alliés américains nous permette de la bouter hors de France. Le mois d’octobre se passe donc pour nous dans un calme relatif ; les allemands se contentent de nous bombarder avec leur grosse artillerie pendant qu’ils creusent leurs profonds abris.
 
PRISE DE LA FERME DE QUENNEVIERES
Le 30 octobre, l’ordre est donné à nos troupes d’attaquer et prendre la ferme de Quennevières. Après de virulents combats et de dures fatigues, nos braves troupes atteindront le but dans la journée du premier novembre. Le 12 novembre, attaque sur Tracy le Val par le 3 zouaves qui arrive jusqu’au cimetière sans pouvoir y pénétrer. Le 19, contre attaque allemande sans résultat. En novembre et décembre, dans le bois Saint Mard, organisation de tranchées.
 
ATTAQUE DU CHAMPIGNON
Les 21,23 et 25 décembre, nous attaquons dans la direction de la ferme des Loges contre un blockhaus ennemi dénommé : « le champignon ». Attaques meurtrières et sans résultat appréciable ; une tranchée est prise, les allemands la reprennent et les cadavres restent entre les deux lignes. Lorsqu’en mars 1917 les allemands battront en retraite, des centaines de cadavres seront retrouvés et aujourd’hui des croix de bois alignées dans la plaine avec des inscriptions comme celle-ci : « Ici reposent les restes de 50 braves soldats français » témoignent de la violence de ces combats.

1915

C’est la guerre de tranchées et pour notre village le bombardement quotidien, plus au moins violent, chaque jour, un obus vient détruire une maison et les habitants de cette demeure détruite s’enfuient en emportant quelques hardes.
Le 25 janvier, un obus éclate près du presbytère, les schrapnells traversent les portes.
Le 2 février, deuxième obus sur l’église.
Le 18 février, 3 obus de 150 éclatent près du presbytère.
Le 27 février, violent bombardement du village, un officier et un sergent major sont tués dans la maison Bertrand, 2 soldats muletiers sont tués près de la villa Denise.
Le 4 mars Madame Bernard, femme de notre adjoint faisant fonction de Maire resté fidèle à son poste durant toute la guerre, est tuée d’un éclat d’obus à la tête ; transportée mourante à l’ambulance d’Offemont, elle mourrait quelques heures après laissant un orphelin de 11 ans.
Le 21 mars, dans le même quartier, Monsieur Demont est tué près de la porte de sa maison.
Le 18 avril, pendant 4 heures, les allemands font une démonstration d’artillerie par un tir de barrage sur notre village.
Le 14 mai, durant ¾ d’heure, notre grosse artillerie bombarde les tranchées allemandes ; nos 75 terminent l’heure en envoyant une nuée d’obus sur l’ennemi ; le vacarme est assourdissant.
 
ATTAQUES DU 6 JUIN région de Quennevières
Le 6 juin et les jours suivants, la 37 et la 61 division attaquent dans la région de Quennevières. Après un résultat très heureux d’une première, journée, notre attaque est enrayée malgré l’héroïsme de nos soldats et particulièrement de régiments bretons. Combien, hélas ! Sont encore tombés dans ces journées et reposent aux cimetières de Quennevières, de l’Escafaut, du chemin de Moulin sous Touvent. Volontiers, devant ces milliers de croix qui se dressent partout sur le sol de notre cher Tracy, je redis les vers d’un de nos grands poètes :
 
« Salut, ô premiers morts de nos premiers combats
A vous, tombés au seuil de la grande espérance
Dont palpite le cœur ébloui de la France
Héros, je vous salue et ne vous pleure pas »
«Henri de Régnier »
 
Le 7 juillet, pendant un violent bombardement nous avons à ajouter une nouvelle victime civile, Monsieur Desmonceaux Armand, menuisier, a le côté labouré par des schrapnells ; transporté à l’hôpital de Compiègne, il meurt dans la journée du 14.
 
Le 14 juillet, jour de notre fête nationale, les allemands nous saluent par un violent bombardement, les obus de 150 et 380 tombent sur le village, démolissent de nouvelles maisons, tuent et blessent plusieurs soldats.
 
 
AOUT 1915 – L’EVACUATION
13 civils ont été tués par le bombardement. De nombreuses maisons sont détruites, beaucoup d’autres sont inhabitables, près de 200 habitants sont cependant encore là. Monsieur Bernard est avisé par l’armée d’inviter la population qui reste à se préparer à l’évacuation. Celle-ci a lieu du 18 au 25 août. Des camions viennent prendre ces malheureux qui ont tant souffert, il faut partir n’emportant que quelques ballots de linge et de vêtements et quand l’on pourra regagner enfin les logis dévastés, l’on ne retrouvera rien.
 
 
TRACY LE MONT, le 25 juin 1920