Une ambulance hippomobile - sur le trottoir Mlle A.M. Guillouzic, descendant de la voiture, Melle de PuységurFin Octobre 1914, à la suite des ravages causés dans l'armée par la fièvre typhoïde, on décida de transformer en salles d'hôpital certaines grandes pièces du palais. Ainsi après avoir implanté des établissements sanitaires dans l'ancien couvent de Saint-Joseph et à l'Ecole Hersan, à la Compassion et au Collège, on est obligé d'affecter des appartements du château à des services où seront soignés les militaires atteints de fièvre contagieuse. Il en sera ainsi de la grande Salle des Fêtes, de la Galerie des Tapisseries, de la Salle des Gardes et de la Salle à manger de l'Empereur après en avoir évacué le précieux mobilier.
Sœur Saint-Arsène qui dirigeait le dispensaire de la Croix Rouge nous avait dit : " Mes petites filles, on a besoin de vous, il faut partir ". Hélène Catteau et moi-même nous fumes les premières à répondreà son appel. Je fus affectée au service installé dans la grande Salle des fêtes. Au début on fut singulièrement pris de court. C'était effarant ! On ne disposait d'aucun ustensile sanitaire, ni seaux, ni urinaux ; on n'avait que très peu de matériel de literie et presque pas de vaisselle; on ne possédait ni tasses, ni bols pour faire boire les malades et on dut avoir recours à des boites de conserves vides. Plus tard on reçut des lits, des draps, du mobilier.
Je me souviens que dans la belle salle des Fêtes aux décorations dorées, on installa des lits de cuivre provenant de l'hôtel du Rond Royal dont l'ameublement assez somptueux avait été copié sur un hôtel d'Evian.
On avait à la tête des services des médecins de renom, tels le docteur Edouard Rist de l'hôpital Laennec et son interne, le docteur Rolland, le docteur Bal Del Weck, laryngologiste de Beaujon, le docteur Landolt, le docteur Chauveau. D'autres étaient de la région, tel le docteur Delobel de Noyon à qui avait été confiée la Salle des Gardes. Il y avait aussi, côté de la rue d'Ulm, un service de pharmacie où se trouvait affecté un autre noyonnais , Monsieur Voisin.
Parmi les infirmières qui assuraient le service au Palais, je me souviens de Mlle Dubloc, d'Hélène Catteau, de Mme Ponge, de Mme de Royer, de Mlle De Puységur, tante de la princesse de Lucinge. Il y avait aussi Mlle Baudet, infirmière major, Mme Bridoux, Mlle Vidal et Mme la baronne de Villiers dont le mari était à la cour de Russie et qui avait conservé les habitudes de la vieille noblesse française. Drapée dans sa cape d’infirmière avec son col en forme, elle ne manquait jamais de faire une révérence en entrant comme si elle se fut trouvée à la cour de Russie.
Parfois, pointaient entre certaines de nos dames, des signes de vieille rivalité de classes. C'est ainsi que Mlle De Puysegur qui était de noblesse légitimiste et la baronne De Villiers, de noblesse d’empire, s'envoyaient à l'occasion des piques bien acérées. Mlle De Puysegur qui faisait preuve d'autoritarisme et d'intransigeance fit plus d'une fois aussi battre en retraite le docteur Ligouzat. Les façons de faire quelque peu désinvoltes et le langage cru et trivial de certains médecins heurtaient la bienséance de quelques infirmières. Le docteur Delobel choquait assez souvent Mlle Cléret, toujours réservée, pétrie de conformisme, amidonnée pourrait-on dire et chez qui le tact et les convenances étaient toujours de mise.
Quand le président Poincaré vint à Compiègne, il ne manqua pas de rendre visite aux hospitalisés du château. Il était vêtu simplement, coiffé de sa casquette à visière de cuir analogue à celle d'un chauffeur. Il paraissait si modeste qu'un militaire à qui il venait de serrer la main nous soutint que ce ne pouvait pas être le Président de la République.
Parmi les visiteurs de marque qui vinrent encore témoigner leur sympathie aux soldats malades, il y eut la princesse de Grèce, Marie Bonaparte, puis Mgr Le Senne, nommé évêque de Beauvais en 1915.
Après les repas, un court moment de détente nous était réservé. Nous l'employions parfois à nous promener dans le Parc dont l'accès était alors interdit au public. Il nous arrivait d'y croiser des officiers, et aussi un militaire qui pour passer incognito ne portaient pas d’étoiles et se promenaient avec la tenue d’un simple soldat , c’était le général Pétain.
Témoignages recueillis auprès de Mme Nativelle
Tiré du « Livre vivant de Compiègne » de Louis Duquesnay, tome I - la Sauvegarde de Compiègne 1983