Montmacq et le Plessis Brion

L'église de Machemont - musée du Mémorial de l'Armistice Le Bulletin religieux publie les extraits suivants d'une lettre écrite le 18 décembre par Mme M... et relatant divers épisodes du passage des Allemands au Plessis Brion et à Montmacq.
 
Avant que nous nous soyons enfuis de Montmacq, fin septembre, la nuit, à pied, sous les balles et le canon, je savais que M. le curé de Pimprez avait reçu au bas ventre un coup de baïonnette allemande; sa main droite, dont il a voulu se protéger, eut deux doigts coupés, mais de ce fait de résistance, l'arme ne pénétra qu'à 4 centimètres, ce qui lui sauva momentanément la vie. J'ai su depuis que Pimprez était à peu près détruit, occupé encore par l'ennemi, et je me demande où ce pauvre curé a pu se faite soigner ou aller mourir ? Celui de Machemont a été fidèle son poste. Il y a eu guerre de rues dans le village, l’église a été endommagée et le presbytère est inhabitable, mais l’excellent M. Guiraud est resté paisible et doux au milieu de ses fidèles.
 Vous saviez sûrement que M. le doyen de Ribécourt dont on a beaucoup vanté le dévouement pendant l’occupation allemande a été appelé sous les drapeaux en date du 1er novembre, on me le signalait dans les territoriaux de Compiègne en dépôt à Laval. Le nôtre de Montmacq et de Plessis Brion, M. D.., est d'autant plus à féliciter de sa courageuse attitude que sa santé bien précaire ne le disposerait pas à une grande force de résistance.
Les premiers allemands, 30 août, débutèrent, par vouloir outrager la sœur de M. D..., qui, terrifiée, s'enfuit dans la forêt ; son frère ne voulant pas l'y laisser seule la nuit, l’accompagna ; ils attendirent le jour en compagnie d'une soixantaine habitants affolés. A l'aube, M. D... était arrivé à convaincre sa sœur de la nécessité du retour au presbytère.
« Le maire, dit-il, est officier de réserve, l'instituteur est parti à l'armée, l'adjoint est vieux et malade ; si les Prussiens viennent et ne trouvent personne de notable pour leur répondre, ils feront comme à côté, à Choisy-au-Bac et ailleurs, ils incendieront le village. S'ils veulent quelqu’un, qu'ils me prennent ; souffrant comme je suis, le cadeau sera mince ».
Et il rentra au Plessis. Il y était depuis quelques heures, lorsque les Allemands arrivèrent, et, faute de municipalité, arrêtèrent le curé. « Vous, votre affaire est claire, vous faites des signaux aux Français du haut de votre clocher et puis vous excitez les populations à la résistance. Demain, à 8 heures, vous serez fusillé. »
Et pendant 15 heures, M. D... fut gardé à vue, enfermé par les Prussiens qui, revolver au poing, l’escortaient  jusqu'à la garde-robe. La nuit fut longue. A 6 heures, M. le curé dit à ses geôliers : « Puisque vous devez me fusilier à 8 heures, laissez-moi au moins dire ma messe à 7 heures ». Après hésitation, on le lui accorda, mais à la condition que pour enfants de chœur, il aurait les deux Allemands, revolver au poing toujours, et, qu'au premier bruit dans le village, au premier soldat français qui entrerait, il serait fusillé sans attendre la fin de la Messe. « Ma messe, m'a-t-il dit, n’a pas été des plus recueillies, et chaque fois que je me retournais pour le Dominus vobiscum, je voyais les 2 canons braqués qui ne me rassuraient pas. Quand, à Ite Missa est, j'entends s'élever une rumeur sur la place : « C'est ma dernière heure, pensais-je... et, me retournant vers l'autel, je dis avec ferveur un bon acte de contrition, en faisant à Dieu le sacrifice de ma vie... On n'oublie jamais ces minutes là ! Puis très doucement, je me tourne imperceptiblement pour voir mes deux Prussiens, ils avaient disparu. Ce que j'avais entendu, c'était un ordre de prompt départ. Je l'avais échappé belle ! »
Et depuis cette époque, M. D... est resté à son poste, simplement, pauvre au milieu des pauvres, enterrant, non sans danger, les morts, émigrés ou habitants, dans des cimetières qui sont aux abords des bois où l'ennemi tire et se cache. Ceci, je puis d'autant mieux vous l'affirmer, qu'une des premières fois, à défaut d'officiant, je marchais moi-même à ses cotés portant le bénitier et le goupillon, mais mon costume à moi n'attirait pas les balles prussiennes.
J'espère que notre pauvre église de Montmacq dont je me suis beaucoup occupée depuis deux ans, ne sera pas trop endommagée. Ces monstres l'ont souillée d'ordures dans le pot à eau bénite et se sont essuyés avec las linges d'autel que j'ai brûlés sans en parler.  
Nous avons fui à la fin de septembre pour regagner notre appartement d'hiver à Paris, En plus du danger que nous courrions, nous n'avions plus rien à manger, — aussi ne suis-je pas étonnée qu'une personne digne de foi, qui, au prix de mille difficultés a pu aller à Montmacq pour un décès militaire, m'ait dit avoir rencontré M. D.. allant avec une brouette, une serpe et une corde, faire du bois en forêt, en compagnie de sa sœur ; tout manque, le charbon comme le reste. Excusez ma longueur, Monsieur, donnez en échange une prière pour mes deux fils qui sont au service de leur pays, et veuillez croire à mes sentiments de très haute estime. 
P. S. — M. Sonntag, à Ressons, a été particulièrement dévoué et utile  aussi. »

Extrait du Progrès de l'Oise du 15 janvier 1915