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Les Français sont maintenant aux abords du champ de manœuvre. Le soir tombe rapidement. Que se passera-t-il cette nuit quand les adversaires sont si près l'un de l'autre, que l'on ignore jusqu'à quel point pénètrent les infiltrations ? Les Allemands craignent la surprise d'un mouvement tournant sous le couvert de la forêt. Ils se sentent cernés en demi-cercle par des forces dont ils ignorent l'importance.
Vers cinq heures, la fusillade crépite au Rond-Royal. Décidément, la forêt n'apporte rien de bon à l'ennemi qui s'en est toujours défié, même aux jours les plus calmes. On riposte bientôt par un nouveau coup de canon. A ce moment, on voit passer au galop, la lance basse, trempé jusqu'aux os, un escadron du troisième uhlan qui retraite en diligence.
Les officiers sont surexcités. L'un d'eux, en pleine ville, arrête M. Poilane, qui vient prendre son tour de garde à la permanence de la Mairie. On ne tarde pas à relâcher l'honorable Conseiller municipal qui peut se rendre compte, par lui-même, de la préoccupation de ses adversaires.

La nuit se passera cependant, et toute la journée suivante, sans qu'arrivât l'événement imminent qui menace Compiègne. L'attente se prolonge dans l'anxiété, avec un seul coup de canon vers une heure de l'après-midi et sans amener le départ volontaire de l'ennemi. Des deux côtés, les patrouilles de reconnaissance cherchent à évaluer l'important des forces adverses par des sondages hardis qui pénètrent fort avant dans les positions.
Cependant, à divers signes, on sent que le moment serait près d'arriver : les allées et venues se multiplient. Les automobiles ne cessent d'amener au bureau du télégraphe du Palais des personnages affairés qui envoient des estafettes de tous les côtés. Vers onze heures, un général en fureur transmet à tue-tête des ordres au téléphone, toutes fenêtres ouvertes.

Cette fois, les pillards du train, en mission officielle de déménagement ont terminé leur tâche : ils ont bâché leurs camions et arborent au-dessus un immense drapeau de la Croix-Rouge avant de démarrer. Les charrettes, les convois du ravitaillement, les caissons de munitions remontent lentement, d'un pas égal vers le Nord, parcourant en sens inverse le chemin de leur arrivée. Quelques prisonniers sont emmenés vers l'intérieur. La pluie tombe, fine et serrée, chassée par les rafales de vent, dans une atmosphère de déroute. Un groupe d'officiers, inquiets, suit à la lorgnette ce qui se passe aux alentours tandis que sur le clocher de l'église Saint-Jacques et le beffroi de l'hôtel de ville, des postes d'observateurs scrutent anxieusement l'horizon (Document).

Le commandant Sabath vient en coup de vent dans les bureaux de l'hôtel de ville. Il doit se rendre compte de l'état de nos forces, car il juge prudent, durant la soirée, de commander l'évacuation pour échapper à un mouvement d'enveloppement dont les préparatifs ne sont que trop certains.
Sur l'heure il fait évacuer les hôpitaux. Les grands blessés de la Compassion sont transportés, malgré leur état, dans les voitures d'ambulance. Un moment, les infirmières ont espéré soustraire à l'ennemi un soldat français, gravement blessé qu'elles ont isolé à dessein et qu'on peut très bien oublier dans la précipitation du départ. Mais le subterfuge ne réussit pas et il faut livrer le prisonnier à ses gardiens.

Les éclopés de l'hôpital Saint-Joseph, par contre, sont totalement abandonnés, ainsi que ceux de l'hôpital Hersan.
Sur le soir, Sabath quitte brusquement l'hôtel de la Passerelle. Les fourgons de pillage ont disparu de la place du Château. Les officiers qui se tenaient sur la place de l'Hôtel-de-Ville sont remontés à cheval, et l'un d'eux, en passant, jetant à terre un paquet de ferraille, a rendu les clefs du Palais. Auparavant, les appareils télégraphiques et téléphoniques de l'hôtel des Postes ont été complètement détruits.

Cependant quelques traînards, comme en remorque toujours à sa suite une armée, fût-elle celle de la Grande Allemagne, continuent à errer dans les environs, évitant les agglomérations, perdus, désorientés, à la recherche d'un lambeau de l'armée. Facile cueillette pour nos troupes qui ne vont pas manquer d'arriver bientôt en nettoyant principalement les routes et sous-bois de la forêt. Dans la nuit, le pont de péniches saute sans faire trop de fracas Dans la nuit le ciel s'éclaire de lueurs d'incendie dans la direction de Choisy-au-Bac ; pour protéger leur retraite les Allemands y ont brûlé le pont suspendu et un chantier de traverses voisin, puis ils font sauter le pont fixe que les derniers convois viennent de traverser : Compiègne peut respirer Compiègne est libre !