Rapidement transformés par le Service de l'habillement, ils augmentent de jour en jour la garnison de la ville. Les trains spéciaux qui passent en gare sont couverts d'inscriptions où se reconnaît l'esprit gaulois du troupier. Les chansons patriotiques s'égrènent sur les lèvres du soldat, ainsi que les exclamations énergiques à l'égard des Allemands. C'est la grande distraction des Compiégnois que d'aller les voir passer, tous pressés à la porte des wagons, assis sur les marchepieds, et de leur offrir, quand le train stationne en gare, de menues friandises et du tabac.
Le 3 août, on apprend la déclaration de la guerre : on s'y attendait bien. C'est un événement accepté d'avance. Ce n'est qu'une confirmation.
Et vers onze heures et demie, passe en gare, tous rideaux tirés, le train qui ramène en Allemagne l'ambassadeur de Schoën. A la Place, le général de Seroux prend un arrêté pour confirmer le maire dans ses fonctions, malgré l'état de siège.
Les réfugiés italiens sont maintenant au nombre de 2.000. Ils se trouvent dans un état lamentable. Prévenus à la mine, où ils travaillaient, de leur évacuation immédiate, ils ont dû s'enfuir avec leurs familles en rassemblant leurs affaires en hâte, sans prendre le temps de changer leurs habits de travail. Ils sont arrivés à Compiègne après un voyage épuisant. On leur a distribué des paillasses. Les campements à la vénerie et au terrain des fêtes grouillent d'enfants de tous âges. C'est un bien triste spectacle.
Le 4, c'est l'anniversaire de la première bataille de 1870, Wissembourg ! Les journaux que l'on dépouille fiévreusement sont ternes malgré l'importance de leurs titres : la déclaration de la guerre de l'Allemagne à la Russie, la violation de la neutralité du Luxembourg, le territoire envahi à Longwy...
La plupart des médecins de la région sont partis rejoindre leurs corps. L'ordre est donné d'installer des hôpitaux complémentaires dans les locaux disponibles. Quelques écoles, l'ancien hôtel-Dieu, une salle de cinéma sont aménagées hâtivement pour cette destination.
Un nouveau convoi composé de 1.300 Italiens est venu grossir la colonie. Un bébé de un mois est mort dans le train qui les amenait. Les hommes sont, pour la plupart, des terrassiers et des mineurs, qui étaient employés aux mines de Briey. On espère, s'ils s'attardent dans notre région, les employer dans la campagne pour venir en aide à nos cultivateurs, privés de bras à l'époque de la moisson. Les malheureux sont campés aux alentours de la gare. On attend qu'une décision soit prise à leur égard, soit pour leur installation momentanée, soit pour leur envoi dans une autre ville, si l'autorisation nécessaire est accordée.
Bientôt, dans l'après-midi, on refoule tout ce monde pour laisser le passage à un détachement qui vient s'embarquer à son tour, musique en tête.
Enfin, malgré les démarches tentées pour faire rentrer les Italiens dans leur pays, leur séjour se prolonge au delà du temps prévu. Ce n'est que dans la soirée du mercredi que deux trains spéciaux les emmènent vers Modane et le Montcenis (Document).
Les provisions commencent à manquer. On ferait inutilement le tour de la ville pour trouver du beurre et des œufs. Les épiciers vident leurs magasins. Beaucoup de personnes, prenant des précautions, ont emmagasiné des réserves, comme s'il s'agissait d'un long siège... Mais le général commandant la Place, délègue le Maire et les adjoints à l'effet de procéder à des perquisitions au domicile des commerçants et de faire mettre en vente, s'il y a lieu, les stocks non déclarés; quelques jours plus tard, une Commission sera instituée pour la réglementation du prix des denrées.
La gare est devenue un lieu de réunion permanente. Les abords sont moins bruyants que les jours précédents, mais l'on est toujours assuré d'y rencontrer les gens bien renseignés. En raison de l'état de siège, il est obligatoire de solliciter des laissez-passer pour circuler dans la région. Bientôt, il sera interdit de se trouver sur les routes après six heures du soir. La discipline militaire prend son premier contact avec l'élément civil.
Dans la journée du 5, vers six heures du soir, un biplan après avoir viré au-dessus de Venette, vient se poser dans la plaine de Choisy. Il repart quelques instants après, après avoir accompli sa mission.
Vingt-deux réfugiés lorrains sont arrivés des environs de Metz. Mais depuis le départ des Italiens, la cour de la gare est vide de la foule bigarrée qui l'occupait. A partir du 6 août, toutes les heures des trains sont modifiées, pour faciliter la circulation transversale des transports de troupe dans la direction ouest-est. Le nouvel horaire ne comporte plus que quatre trains civils par jour en chaque sens, soit un toutes les six heures. Les express sont supprimés, les convois roulent au maximum de 30 kilomètres à l'heure et il faut parfois cinq heures pour arriver à Paris
Le 6, le Conseil municipal se réunit et décide de disposer pour faire face à toute éventualité, d'une somme globale de 60.000 francs qui sera affectée à un compte spécial de dépenses de guerre .
L'hôpital général compte 210 lits. Son annexe du collège en contient 250. Les trois hôpitaux de la Croix-Rouge sont de 50 lits chacun. Les deux hôpitaux complémentaires du territoire commencent à fonctionner. Celui de l'Orangerie est de 170 lits (hôpital 15) et celui du Grand Ferré est de 100 lits (hôpital 13), soit un total de 880 lits disponibles.
Les trains de troupe sont composés maintenant de 40 à 50 wagons et leur défilé est interminable, il ne cesse ni de jour ni de nuit. Puis, ce sont des convois entiers de canons et de caissons, du plus sinistre effet, enchaînés sur des plates-formes.
Dans la nuit du 6 au 7, vers minuit, il faut organiser de toute urgence un service de secours pour 1.500 réfugiés de Verdun qui viennent échouer à Compiègne. Parmi eux se trouvent 128 vieillards des hôpitaux de St-Hyacinthe et Ste-Catherine. Des religieuses les accompagnent. On distribue des vivres à ces malheureux qui passent la nuit dans les wagons et dès le lendemain on s'ingénie à leur trouver un gîte. On réussit à en héberger quelques-uns dans les alentours de la gare, chez des particuliers qui veulent bien s'en charger. Leurs principales professions sont celles de chaisiers, rempailleurs, lingères,confiseurs. Plusieurs se placent comme domestiques. On envisage la possibilité d'en envoyer un certain nombre dans les fermes des environs pour aider à la moisson.
Les hôpitaux de Verdun sont installés hâtivement dans l'école maternelle de la rue Vermenton. Et bientôt, grâce au dévouement de personnes charitables qui ne refuseront jamais leur concours durant cette triste période, l'hospice Vermenton est en mesure de nourrir les bouches inutiles dont la Place forte de Verdun s'était allégée.