Page 14/24

 
                                                 PUBLICATION
Moi, le Commandant d'Etapes,
Je me charge à partir de ce jour de l'Administration de l'étape Compiègne comprenant les localités suivantes :
                                     COMPIEGNE ET SES ENVIRONS
En cette qualité je confirme les autorités locales à la condition qu'elles exécutent strictement mes ordres, et je garantis à la population ma protection en tant qu'elle reste paisible.
Toute action préjudiciant les personnes de l'armée allemande, les installations de communications publiques, les chemins de fer, le télégraphe et le téléphone, sera punie très sévèrement n'importe que pareille action sera exécutée par des personnes du sexe mâle ou féminin.
A ‘parreille’ punition s'exposera la commune sur le territoire de laquelle ces crimes se passent. Les communes seront responsables des malfaiteurs et auront à supporter les punitions les plus
sévères.
Toute personne criminelle, mâle ou féminine ‘atrapée’ en flagrant (?) sera immédiatement fusillée.
Toute localité, où des personnes de l'armée allemande seront traîtreusement blessées, empoisonnées, ou tuées sera immédiatement incendiée.
Toute tentative sera atteinte par les mêmes punitions.
Pour ménager les intérêts de la population paisible je fixerai conjointement avec les autorités locales les livraisons à faire. La population est tenue de suivre exactement les ordres des autorités locales.

                                 Compiègne, le 4 septembre 1914.
                                               SABATH.

Un nouvel avis à la population suit de près cette proclamation. Il émane cette fois de la Mairie.
Par ordre de l'autorité allemande, tous les détenteurs d'armes de toutes sortes devront les remettre sans retard à la caserne Jeanne d'Arc, sous peine d'ère sévèrement punis. Les armes devront porter une étiquette portant le nom du propriétaire.
Il est rappelé que les cafés et débits de boissons devront être fermés tous les jours à 8 heures du soir, à l'exception des restaurants et hôtels réservés aux officiers.
Il est encore rappelé aux habitants que toute discussion ou rixe avec des militaires allemands sera réprimée avec la dernière sévérité.
La valeur de 100 marks est fixée pour or français, à 125 francs et pour papier et argent monnaie belge ou français à 135 francs.

Le Hauptmann Sabath passe son temps à fumer, à digérer et dicter des ordres. Il a l'air peu martial, avec son gros ventre, posé d'aplomb sur de courtes jambes. Une myopie extrême l'empêche de voir devant lui et il s'empêtre continuellement dans son sabre, d'une façon grotesque. Comment ce commandant d'opérette peut-il gouverner une ville en pays ennemi ? En tout cas, rien ne peut dépeindre le mépris des officiers pour ce gros réserviste sans énergie et sans bravoure. On le sait lâche. Mais, content de lui, flegmatique et stupide, parlant peu, il roule sa grosse personne, semblant ne pas remarquer le dédain marqué que lui témoignent même ses subordonnés. Dans les couloirs, c'est une allée et venue continuelle, un bruit de bottes et de sabres, un voisinage insolent et cruel. La Commission Municipale, toujours sur la brèche, s'efforce d'éviter les conflits avec ses irascibles maîtres. M. de Seroux a établi sa permanence dans le vestibule, près de la porte d'entrée, semblant défendre ainsi l'accès même de la maison commune. C'est de ce merveilleux poste d'écoute qu'il veille sur les intérêts de la ville et il entend les sauvegarder à tout prix. Il remonte le moral de ceux qui viennent lui demander conseil ou lui signaler des injustices et ses respectueuses mais fermes interventions seront souvent couronnées de succès.
Compiègne devra son salut au courageux vieillard qui sut en imposer à l'ennemi par la dignité de son attitude. Plusieurs fois les choses faillirent se gâter. Il suffisait alors d'un geste maladroit pour qu'éclatât l'orage que toute sa diplomatie s'employait à écarter. Il eut durant ces moments pénibles, le réconfort d'être entouré par des collaborateurs d'élite, comme M. Martin, que l'on vit toujours sur la brèche durant les 13 jours difficiles, et M. Poilane qui, par son zèle, son calme et son mépris du danger, mérita d'être appelé le « Troisième adjoint » de Compiègne.

Mais de l'avis de ceux-là mêmes, c'est à M. de Seroux que revient l'honneur d'avoir défendu Compiègne contre les envahisseurs. Il a mené la barque sur une mer houleuse et grâce à lui, elle ne s'y est pas égarée.
Sur l'édifice même de l'hôtel de ville, il est à remarquer que les couleurs impériales n'ont pas pris la place du drapeau français que M. Villette a eu la précaution de retirer bien avant l'arrivée de l'ennemi : un simple fanion est placé au-dessus de la boîte du commandant d'Etapes, près de la porte d'entrée. Cette disgrâce ne sera pas infligée durant toute l'occupation à la délicate dentelle de pierre qui-est l'un des joyaux de l'Ile-de-France.
Les Compiégnois, privés naturellement de nouvelles, suivent sur la physionomie des officiers le détail des opérations. Alors qu'on leur répète continuellement que le Kaiser fait le siège de Paris et d'autres mensonges aussi invraisemblables, ils épient les attitudes tantôt triomphantes, tantôt démoralisées et se basent sur ces observations pour se faire une idée de la vérité qu'on leur cache. Il se pourrait, en tout cas, qu'aujourd'hui 4 septembre, les brillantes opérations ne fussent que de piteuses tentatives, car précisément, ces messieurs, nerveux, ont l'air peu satisfaits. Ils n'en sont pas moins insolents pour cela.

Le mouvement de la circulation est bien réduit, on remarque seulement des équipages pour l'approvisionnement. La garnison de la ville est peu importante. Un seul bataillon y est demeuré cantonné, mais ceux qui en font partie ne se sont pas privés d'aller rapiner en toute sécurité dans les maisons fermées dont ils ont fracturé les fenêtres.
A la caserne Jeanne d'Arc, chacun a apporté son ballot d'armes, soigneusement ficelé et étiqueté, selon les recommandations, pour qu'on puisse les rendre après la guerre. La sentinelle fait entrer dans la salle de rapport où deux Saxons s'emparent des paquets après les avoir fait inscrire au bureau où se tient un lieutenant de uhlans dont l'œil gauche est de verre. Les apports sont importants, et cependant bien des gens, craignant cette démarche, se sont empressés de faire disparaître plus facilement leurs objets compromettants. Les égouts, particulièrement, ont servi d'oubliettes, mais des soudards, revolver au poing se chargent de les repêcher pour leur propre compte. Dans plusieurs maisons, on réquisitionné d'office et l'on serre le butin dans des voitures automobiles. L'une d'elles, hardiment détournée par le concierge fut vidée dans les magasins municipaux et quelques propriétaires purent retrouver plus tard des objets de valeur qu'ils croyaient disparus à jamais.