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Quand au « dépôt légal », on n'entendit plus jamais parler de lui...
Sur le soir, un avion, un taube, fait entendre son ronflement au-dessus de la ville.
Des blessés sont de nouveau arrivés. On leur a fait passer la nuit dans l'église Saint-Jacques. Ils venaient de Gilocourt et d'Orrouy. Beaucoup d'éclopés reviennent également par les routes. Les hôpitaux sont garnis un peu au petit bonheur, car le Service de Santé de l'armée, débordé, est insuffisant.
Deux médecins civils, le Docteur Wurtz et le Docteur Lucas assurent, seuls, le service. Fort heureusement, le Docteur Warde, qui a réussi à revenir à pied et qui a franchi les lignes par miracle, s'est joint à ses confrères et prend sa part de la rude besogne. La voiture du Docteur Wurtz, décorée d'un drapeau de la Croix-Rouge, se rend d'ambulance en ambulance où le service est régulièrement assuré par les religieuses et le petit groupe des infirmières. Dans les premiers jours, les hommes ont exigé que leurs armes, au lieu d'être déposées au vestiaire, demeurassent près de leur lit à portée de la main. Mais la ferme loyauté de celles qui les soignaient adoucit les rapports assez tendus du début, et, sauf ordre exprès des majors, les armes disparurent des salles.

Le 5, les boulangeries rouvrent pour la population. On continue cependant à travailler dans les fournils pour la troupe, mais les livraisons sont moins importantes, le mouvement de l'armée étant presque nul, et la garnison réduite au minimum.
Les convois de troupe passent dans la direction de Crépy ou de Venette. Vers deux heures environ on les voit revenir puis repartir dans une autre direction. Plus tard encore, nouveau retour, nouveau départ ; on dirait d'une bête traquée de tous côtés.
M. Mourey, sollicitant de la nouvelle Kommandantur l'approbation de l'affiche de Von Marwitz interdisant l'entrée du Palais sous peine de punition grave, s'entend répondre par le lieutenant Amsinck, officier d'ordonnance du commandant Sabath :
- D'abord, il n'y a plus de Général ici : il n'y a que le commandant d'Etapes et moi. Si vous tenez à afficher cela dans votre Palais, vous le pouvez, mais en supprimant le dernier paragraphe et la signature.
(C'est le paragraphe où il est dit que le Conservateur est autorisé à demander punition au G. Q. G. de toute infraction à la défense d'entrer.)

Deux cas de viol ayant été signalés, on vient demander au commandant d'Etapes une punition sévère pour les coupables. Celui-ci ayant reçu sans doute des instructions du G. Q. G. ordonne sur le champ une enquête minutieuse qui aboutit sans doute, car le signalement de l'un au moins, des agresseurs est particulièrement détaillé. Ces faits ne se renouvelleront plus par la suite, du moins à notre connaissance.
On a entendu le canon toute la journée, dans la direction Sud-est et plus fort le soir que dans la matinée. On entend parler de Nantheuil puis de Gilocourt. Quelques autos ont transporté des centaines de blessés français et anglais. Les malheureux sont en piteux état. Quelques femmes ayant voulu, sur le passage, leur distribuer des aliments et des douceurs, se sont fait maltraiter par l'escorte. D'après ce que l'on peut savoir, les Allemands auraient subi des pertes graves et, qui mieux est, un échec. On a recruté, dit-on, des civils payés deux francs de l'heure pour ensevelir les morts.

Le dimanche 6 septembre, un conseil de guerre se réunit dans une des salles de l'hôtel de ville pour juger des pillards allemands.
Dans les églises, où quelques fidèles assistent aux offices, on lit au prône, par ordre, l'annonce suivante que le commandant d'Etapes a fait tenir aux curés des trois paroisses :
« De par ordre des autorités allemandes, nous faisons savoir qu'il est absolument nécessaire de garder beaucoup de calme et de tranquillité dans toute la ville, sinon de grands malheurs sont à craindre.
En conséquence, nous vous recommandons instamment à tous de rester calmes, soit dans vos familles soit au dehors, et d'user de votre influence autour de vous pour conserver à la ville son cachet de bon esprit et de tranquillité ».

Avant midi, venant de la direction de Noyon, un régiment de grenadiers de la garde, à l'uniforme blanc presque gris, traverse la place du Château en chantant et s'en vient prendre quartier au Haras. L'hôtel du Rond-Royal abrite de brillants officiers supérieurs.

Le duel d'artillerie ne s'est pas interrompu. Toujours, défilent des autos d'ambulance qui ramènent des blessés. Les boulangeries ont été ravitaillées en farine dans la journée par les soins de l'Intendance.
A part le détachement du 52e d'Infanterie qui loge dans le corps de garde, le Palais n'est occupé que par le service du télégraphe. Sans arrêt, des automobiles franchissent la colonnade, amènent de nombreux officiers qui ne demeurent qu'un instant, le temps de donner ou de recevoir des ordres et qui repartent bientôt, tantôt dans une direction, tantôt dans une autre. Ces allées et venues précipitées sont de bon augure pour ceux qui les observent anxieusement.
Sur le soir, les soldats du train qui, dans la cour d'honneur, ont chargé leurs camions recouverts de bâches vertes de tout un matériel hétéroclite, semblent préparer le départ... Les télégraphistes eux-mêmes déménagent leurs appareils... Deux coups de feu éclatent brusquement au coin de la rue d'Ulm... Un grand diable d'officier, revolver au poing, surgit et ordonne d'éteindre toutes les lumières. Il part aussitôt : le château est soudain vide de tous ses occupants. Le désordre dans lequel on le laisse témoigne de la précipitation du départ.
La même scène des coups de feu se répète au même moment vers la gare. Serait-ce un prétexte que l'on cherche pour se livrer à la joie de l'incendie et du pillage général ? Mais l'un et l'autre incident n'ont pas de suite immédiate et il faut l'interpréter comme un signal de départ.