Le lundi 12, la rentrée des classes s'effectue dans de bonnes conditions dans les écoles communales, à Pierre Sauvage et à l'école Jeanne d'Arc, seules disponibles pour le moment. Des institutrices remplacent les maîtres mobilisés. Des cours sont également organisés pour les enfants réfugiés de Verdun et de la région. Le collège, lui aussi, a rouvert ses portes, dans la partie qui n'est pas affectée à l'hôpital. La rentrée, eu égard aux circonstances, est satisfaisante et, ainsi, les enfants n'auront pas trop à souffrir dans leurs études.
Le lendemain, les Tribunaux reprennent leur session sous la présidence de M. Puech, premier juge, en remplacement du Président Gillard, mobilisé. En un mot, la vie reprend son cours, après avoir été un moment désorganisée par les événements. Les banques et les établissements de crédit ont rouvert leurs guichets et les services publics fonctionnent sans accroc, les vides étant comblés par ceux qui, en raison de leur âge, ne sont pas partis à l'armée.
Les restrictions de la circulation se resserrent encore. Le 17, la Place fait paraître un nouveau règlement où il est dit que les laissez-passer seront désormais délivrés par la sixième armée à Villers-Cotterêts. Prisonniers dans leur ville, les Compiégnois, privés de l'accès de leur forêt, perdront le goût de la promenade, la seule distraction dominicale. Mais c'est une bien petite restriction.
La lutte vers Lassigny s'est développée avec des alternatives d'avance et de recul. Puis, peu à peu, l'intensité de la bataille gagne sur le Nord, sur Arras et Albert. Nous gardons dans le secteur nos positions ; mais nous ne pouvons faire plus pour l'instant.
1. CIRCULATION SUR LES ROUTES.
A partir du 18 octobre, la circulation en voiture ou à pied est interdite dans la zone des armées, si on n’est pas muni d'un sauf conduit, délivré par la sixième armée (Villers-Cotterêts).
Les bicyclettes et automobiles pourront passer lorsqu'elles seront munies d'un laissez-passer sur papier bleu seulement.
Pour sortir de la zone, il faut un laissez-passer délivré par le Quartier général de la sixième armée.
Les personnes qui voudront se rendre au quartier général devront prendre un sauf-conduit délivré par le Maire, indiquant le but du déplacement et l'itinéraire le plus direct à suivre.
A Compiègne :
Quand une personne se présentera aux différents postes, ceux-ci devront :
1. S'assurer de son identité.
2. La prévenir que, pour passer, elle doit demander à la place un laissez-passer motivé, avec l'itinéraire à suivre.
3. Le Bureau du Commandant d'armes posera la question par téléphone au Général Commandant la sixième armée qui lui répondra de la même façon s'il y a lieu ou non de raccorder.
Compiègne, le 17 octobre 1914,
Général KIRGENER DE PLANTA.
À partir du 20 octobre, la Compagnie du Nord rétablit les deux trains par jour dans les deux sens. Ce ne sont pas encore les rapides d'avant la guerre, mais deux bonnes brouettes, dont l'une met près de quatre heures pour franchir les 80 kilomètres qui séparent Compiègne de la capitale (Document).
A l'approche de l'hiver, les difficultés sans cesse grandissantes du ravitaillement, ont obligé la Municipalité à envoyer les réfugiés de l'Est et du Nord au delà de Paris où ils trouveront plus facilement des moyens d'existence. Seuls ceux de l'Oise demeureront dans la région, en attendant le retour dans leurs malheureux villages.
Le 21, à une heure et demie, un train spécial évacue donc 778 habitants de Verdun. Compiègne conserve encore, cependant les vieillards des hospices et 627 réfugiés de l'Oise.
Les visites aériennes reprennent le 23, à onze heures et demie avec une bombe écornant sans plus de mal un réservoir de l'usine à gaz. Le taube est accueilli à la gare par une vive fusillade et, après avoir vu un autre appareil se diriger vers lui, il fait demi-tour sans avoir commis d'autre méfait.
Le dimanche 25, au moment où la place Saint-Jacques est pleine d'animation, à la sortie de la Grand’messe, une bombe incendiaire est lancée sur la foule. Elle s'éteint en dégageant un épais nuage de fumée, à quelques mètres de la vieille église. Deux fidèles sont projetés à terre sans aucun autre mal que quelques contusions. Quatre autres bombes, dans le même moment, sont tombées au bastion de la Vierge (boulevard Victor-Hugo), au Haras, dans une boulangerie de la rue Jeanne d'Arc et sur un magasin de la rue Saint-Nicolas (Sarot). Partout, les dégâts sont minimes. Le 26, l'avion revient. On le vise sans l'atteindre, mais le 28, reprenant ses, objectifs, de la gare et du pont, à dix heures du matin, il mitraille le chantier Debeaupuis, situé exactement en face de la gare des voyageurs.
La menace devient sérieuse. Jusqu'à présent, nulle victime n'a payé de sa vie l'imprudence de rester à si peu de distance du champ de bataille, nulle maison n'a été totalement détruite, mais, du train dont vont les choses, le sort de Compiègne, si le recul ne s'opère pas à temps, n'est malheureusement que trop certain. On fait, certes, la chasse à ces vilains oiseaux. On organise des surveillances serrées et nos batteries commencent à les pointer dès qu'ils sont signalés à l'horizon. Les bulles blanches de la défense contre avions sillonnent le ciel, serrant de près le minuscule point noir que l'on voit parfois faire demi-tour, refusant le combat, pour revenir un peu plus tard, après avoir trompé la vigilance, accomplir sa besogne de démolition et de mort. Il est impossible de barrer la route à chaque tentative. Il est fatal que la ville soit bombardée de temps en temps.
Depuis le 25 octobre, l'hôpital du Collège a été réorganisé à destination des fiévreux et le Palais, réquisitionné, pour y créer 250 lits de typhoïdiques, reçoit ses premiers malades le 28. Il est dirigé par les médecins-chefs Ligouzat et Soeuvre. Les plus grandes salles du château ont été démeublées en hâte. Aux deux extrémités de la salle des fêtes, toute ruisselante de dorures, avec ses grands lustres de cristal, on avait laissé les deux statues, fort lourdes, de Napoléon et de Madame Mère.