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Que de souvenirs à évoquer dans cette salle des fêtes, transformée en asile de souffrance par les nécessités de la guerre... 80 lits de contagieux se dressaient dans le décor somptueux des brillantes réceptions du second Empire et des riches soirées de la bourgeoisie locale dans les beaux jours de la troisième République.
A leur tour, les casernes de Royallieu sont transformées en hôpital (n° 16): Les pavillons presque neufs s'adaptent parfaitement à leur nouvelle destination et leur disposition très commode permet d'y installer de très nombreux blessés.
Mais ces hôpitaux nécessitent la présence d'un nombreux personnel. Pour assurer le fonctionnement des nouvelles formations, le Service de Santé a demandé de nouvelles équipes d'infirmières. Malheureusement, bien des vides se sont creusés dans la phalange du dévouement, si importante au début de la mobilisation et le personnel sanitaire doit assurer une tâche bien rude, surtout dans les débuts, où toute l'organisation doit être mise sur pied en un court espace de temps.
Vers cette époque, la Compassion porte le nombre de ses lits à 60 et Saint-Joseph à 70. L'hiver se passera sans que diminue le travail. Compiègne est un vaste hôpital de guerre.

La question du ravitaillement se complique de plus en plus. Les arrivages sont tout à fait insuffisants pour répondre aux besoins de la population. De plus, l'armée vient se fournir chez les commerçants pour une large part de ses besoins. La Mairie ordonne l'ouverture des maisons fermées qui contiennent encore des marchandises qu'elle fera vendre directement. Les pharmacies, par priorité, sont réapprovisionnées, sur l'ordre de la Préfecture. La farine est fournie par l'armée aux boulangeries. Mais la viande et l'épicerie sont toujours d'un réapprovisionnement incertain.
Les travaux du pont sont poursuivis activement. La passerelle provisoire, construite par le Génie nécessite un grand détour et ne pourrait fournir un trop long service, immobilisant d'ailleurs tout un matériel qui sera nécessaire quelque jour ailleurs. Le déblaiement du pont de Soissons est entrepris, mais il comporte beaucoup de difficultés par suite de l'effondrement des piles et du tablier dans le lit de la rivière. Néanmoins, l'importance de la ligne du chemin de fer de Soissons exige une prompte reconstruction et les travaux sont poussés activement. Pour le moment, on fait sauter à la dynamite les débris de la carcasse métallique.

Le mois de novembre commence mal : trois bombes d'aviation sont tombées avant midi, en bordure de l'avenue de Clairoix. L'ennemi cherche à couper les voies ferrées pour supprimer les relations du front avec les réserves de l'arrière. Il n'y parviendra heureusement pas.
Le 2, Compiègne reçoit la visite de M. Barthou. L'ancien Président du Conseil se fait conduire dans les centres de réfugiés de l'Oise et met un crédit important à la disposition de M. de la Granville, chargé de prendre soin de la colonie, pour lui permettre de distribuer des vêtements et des chaussures aux femmes et aux enfants. En outre, il manifeste son entière satisfaction pour la généreuse hospitalité offerte à ces pauvres gens par la ville et promet le remboursement de toutes les avances consenties pour assurer leur subsistance quotidienne.
Par suite du départ des évacués de l'Est et du Nord, dans la Creuse, on peut rouvrir le 3, les deux écoles Saint-Germain, pour les garçons et les filles. Les pensionnats, de leur côté, sont en mesure d'effectuer leur rentrée et l'on peut ainsi assurer l'instruction à la population enfantine.

A la Place, le général Lacotte a succédé comme commandant d'Armes au général Kirgener de Planta. Son règne éphémère ne durera pas plus d'un mois. Cependant, tout l'effort allemand se porte autour d'Arras. Le front qui intéresse directement Compiègne (Soissons-Ribécourt-Lassigny-Roye) changera à peine... La course à la mer, furieusement engagée par l'ennemi, se termine par une formidable pesée sur le saillant d'Ypres. La bataille des Flandres marquera, avec l'échec définitif de l'offensive allemande, le début de la guerre d'usure. Mais, renseigné par l'expérience, le commandement français prendra son temps pour attaquer à son tour. Il profitera de l'hiver pour réorganiser l'armée et se bornera à des attaques purement locales, au lieu de s'engager dans une offensive générale immédiate. D'ailleurs, le mauvais temps et les jours courts permettraient difficilement une guerre de mouvement. Selon l'expression du général Joffre, vite devenue à la mode, il est nécessaire de « grignoter » l'ennemi durant l'hiver.

Après une lutte acharnée dans le cimetière de Tracy-le-Val, ce malheureux pays est repris par nos troupes (1). Cette nouvelle cause une grande joie dans Compiègne, car, si elle ne marque pas pour nos troupes une avance fort sensible et ne déclenche pas le recul immédiat des armées du Kaiser, on a trop parlé de ce village, voisin, âprement disputé, pour ne pas éprouver une vive satisfaction à le savoir reconquis de  haute lutte. Les malheureux réfugiés tout en imaginant l'état de leurs pauvres maisons se réjouissent cependant comme d'une délivrance.
L'attaque de Quennevières vaut une nouvelle arrivée de blessés à l'hôpital Hersan. Le secteur de Lassigny a été attaqué, au même moment, mais les troupes fraîches amenées dernièrement sur le front briseront ce nouvel assaut.
Le dimanche 22, un peu avant onze heures (heure décidément réservée aux bombardements aériens un taube vient à nouveau rendre visite et jette deux bombes. L'une est tombée sur le préau de l'ancienne école Hersan, rue de Paris, qui a été, en partie démoli. Dans plusieurs maisons du voisinage, les vitres ont été brisées par l'explosion et les objets projetés sur le sol. L'autre bombe, tombée dans une propriété de la rue Carnot (M. Evillot) n'a, comme la première, causé que des dégâts matériels.

Ensuite l'expulsion, très sagement ordonnée par l'autorité militaire, de quelques personnes aimables, mais indésirables, a été convertie par les « victimes » de cette mesure en un ordre général d'évacuation. Il n'en est rien, comme on le voit. Les fausses nouvelles vont aller leur train. Les bavards imaginatifs vont pouvoir s'en donner à cœur joie durant cette période. Mais ce n'est pas ainsi que s'écrit l'histoire. Les attaques des tauben ne sont que des manifestations très banales, du moins quant à leurs résultats actuels.


1. Le communiqué du 13 novembre disait : « Au centre, nous avons gagné quelque terrain dans la région de Tracy-le-Val, au Nord-est de la forêt de raille (Sic) ».
Et le 19, « Les opérations autour de Tracy-le-Val-se sont terminées très favorablement par nos troupes. Nous avons repris tout le terrain perdu et fait subir à l'ennemi de très fortes pertes ».