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Tous les télégrammes, reçus ou expédiés, doivent, au préalable, être visés par le bureau de la Place. On s'assure dans certaines maisons qu'il ne s'y trouve pas de poste de télégraphie sans fil. L'Allemagne, depuis longtemps a préparé le terrain ; elle a organisé tout un réseau d'espionnage qu'il s'agit de briser par une surveillance spéciale et il est malheureusement certain que nos mouvements de troupe sont connus aussitôt de l'ennemi qui repère nos cantonnements et les arrose largement d'obus.

Pendant ce temps, l'Administration municipale doit pourvoir au transfert des hospices de vieillards de Verdun dont l'installation précaire à l'école de la rue Vermenton ne peut se prolonger davantage. Jusqu'à présent, les 128 vieillards des deux sexes prenaient leurs repas en plein air, sous le préau d'école, mais dès les premiers jours d'octobre, il fut reconnu nécessaire de chercher un local plus vaste, pouvant offrir une salle couverte et spacieuse, pour y installer le réfectoire et une salle de réunion, en dehors des dortoirs. C'est donc, dans les bâtiments d'une œuvre, rue Notre-Dame-de-Bon-Secours que les hospices sont transférés. La Municipalité dans le même moment, se préoccupe de renforcer le personnel religieux qui, avec un dévouement admirable, s'est dépensé jusqu'à présent, mais qui éprouve le besoin d'être secondé. Des pourparlers sont donc engagés avec une communauté de Paris qui fournit deux nouvelles garde-malade. Le séjour de ces hospices durera jusqu'au 5 septembre 1915.
Décidément, Compiègne semble destiné à subir le même sort que Reims, dont la cathédrale a été fort endommagée au cours de la semaine précédente. Au rang des cités martyres, voici les deux villes de Jeanne d'Arc soumises à l'horreur du bombardement quotidien.

Le 1er octobre, à six heures et demie du matin, un aviateur allemand lance deux bombes, visant le pont. L'une tombe dans la propriété de M. de Songeons, l'autre dans l'Oise, à peu de distance de la première. Dans la matinée, voici revenu l'oiseau de malheur qui, après avoir vainement essayé de passer sur Paris, se déleste à nouveau, près de la gare.
Le surlendemain, à neuf heures dix du matin, une bombe tombe chez M, Chereau, notaire et une autre avenue de Clairoix (Maison Jouve). Le 4, c'est sur la place du Château et au n° 1 de la rue Carnot. Dans la nuit, à une heure du matin, nouvelle bombe dans l'Oise. Le 5, un projectile s'égare dans la plaine. Le 7, on reprend peur : les Anglais déroulent un fil téléphonique de la gare au pont... La ville est pleine de troupes, après le recul de 7 kilomètres que nous avons dû faire à Lassigny...
Le coût de la vie augmente, les approvisionnements étant insuffisants. Les plus courageux d'entre les Compiégnois se demandent avec anxiété si le départ ne s'imposera pas un jour ou l'autre...
Trois jours se sont passés sans visite aérienne, mais le 9, à dix heures du matin, cherchant encore une fois à couper le passage de l'Oise, voici une bombe qui tombe assez loin de l'objectif rue de Clermont (Maisons Deblois) où elle détruit une volière et cause d'importants dégâts matériels. Puis, tout est fini, les Allemands n'insistent pas.
Une décision concernant les nombreux réfugiés qui demeurent dans la ville est affichée à la Mairie. Elle a pour but de resserrer une surveillance obligatoire, car on a tout à craindre de la part des Allemands qui n'hésitent pas à glisser des espions dans les agglomérations voisines de la ligne de feu (Document).
Depuis le début du mois, le commandant d'Armes, simple commandant de Dragons, a cédé ses pouvoirs à un général en retraite, le général Kirgener de Planta, qui, malgré ses 75 ans, a tenu à reprendre du service. Le général, très attaché par sa famille, à la région, contribuera à faciliter dans la mesure du possible, les rapports civils avec l'autorité militaire.
Des équipes du Génie, assistées de scaphandriers, s'occupent activement à renflouer les péniches coulées par l'explosion et qui empêchent, pour le moment, par leur position, la circulation fluviale. C'est un travail pénible qui demande, pour chaque bateau, trois ou quatre jours. Le charbon, dont quelques-uns étaient chargés, assurera la ville contre toutes les rigueurs de l'hiver.

Un peu plus loin, un nouveau pont de péniches sera rétabli, de manière à permettre le passage des bateaux en faisant glisser, le moment venu, une ou deux péniches. C'est une situation provisoire, en attendant la reconstruction du pont de pierre qui, naturellement, ne peut être envisagée qu'après les hostilités.

Le 11 octobre, le départ de l'ambulance 8/13 amène un nouveau changement dans l'organisation des hôpitaux qui passent au service de la sixième armée. L'épidémie de fièvre typhoïde prend une telle extension que le Service de Santé décide d'augmenter le nombre de lits des hôpitaux compiégnois. Le pavillon de l'hôpital général et la Compassion sont seuls conservés à l'usage des grands blessés.