On raconte aussi qu’un officier anglais embusqué dans la forêt de Laigue aurait tué 10 Allemands et aurait réussi à prendre la fuite. L’histoire est belle, mais est-elle vraisemblable?
Il paraît qu’une femme de Compiègne aurait été violée par un uhlan. Attendons les résultats de l’enquête.
Vers 6 heures du soir, l'aumônier allemand vient, avec un mauvais sourire annoncer M. de Seroux une grande victoire des Teutons. Les Français auraient, selon lui, été complètement battus à Lamécourt (?) entre Verdun et Reims.
M.de Séroux ne se laisse pas démonter. Très calme, il répond simplement :
« Vous connaissez les nouvelle, vous avez des journaux » Le pasteur pince les lèvres en constatant que son effet est raté. Il croyait consterner son interlocuteur par l'annonce d’une prétendue victoire allemande. Il n'a pas réussi!
Mais, s’ils sont victorieux, pourquoi les allemands font-ils si triste mine depuis deux jours ?
Dimanche 6 septembre 1914
Le canon tonne toute la matinée. Un paysan, requis d'amener à Compiègne une voiture contenant une dizaine de blessés, nous dit que l’on se bat à Taillefontaine.
Les racontars ne manquent pas. On affirme – d’où le sait-on ?- que le général Pau est à Attichy. Ce n’est pas vraisemblable. L’autre jour on le disait à Monchy.
A midi, un bataillon de grenadiers de la garde arrive en chantant. Les nouveaux venus sont installés au Haras. Ce n’est pas l’indice d’un prompt départ. Ne nous leurrons pas de folles espérances.
Les pillages continuent. M. Couttolenc a surpris quatre pillards dans la maison de M. de Segonzac. Il les a fait arrêter. Les voleurs ont été amenés, dans la matinée, à l’Hôtel de Ville pour comparaître devant une sorte de conseil de guerre. On prétend que d’autres soldats pillards auraient été fusillés la veille au soir à la grille du Parc. M. Boieldieu, qui les fit arrêter et déploya en cette circonstance un remarquable courage, nous a dit qu’il n’a vu aucune exécution, contrairement à ce que l’on raconte. Il sait que les deux soldats ont été jugés dans la salle du Conseil municipal, mais il ignore la sentence.
A 10h30, le commandant d’étape Sabath part en auto pour le Francport, où l’on pille le château du Marquis de l’Aigle. Lorsqu’il arrive les pillards ont disparu.
Le garde champêtre de Clairoix nous donne une nouvelle version des incendies de Choisy. Selon lui les Allemands auraient volé 15 francs à un vieillard. Celui-ci aurait frappé l’un des soldats d’un coup de bâton. Aussitôt le feu aurait été mis à la maison et le vieillard poussé dans les flammes. On aurait ensuite incendié la maison du boulanger qui refusait du pain aux Allemands et la ferme d’un cultivateur qui refusait des chevaux. Ceci se serait passé le premier jour de l’occupation. Deux jours plus tard, deux Allemands se trouvaient seuls à Choisy ; on aurait tiré sur eux et l’un d’eux aurait été blessé. Les deux autres seraient revenus et auraient incendiés un certain nombre de maisons. Nous enregistrons ces récits.
De leur côté, les Allemands affirment qu’ils ne sont pas des incendiaires. Ils prétendent que lorsque l’on dit qu'une ferme brûle, c’est simplement une meule, incendiée par les paysans eux-mêmes, afin que les Allemands ne puissant profiter de la récolte!
Dans l’après-midi arrive M. Raymond Chevallier. Il revenait de Gisors avec une auto empruntée à des amis ; il fut arrêté par las Allemands près de chez lui, au Bois-de-Lihus, et amené à Compiègne. Là, les Allemands ont réquisitionné son auto. M. Chevallier devra s’en retourner à pied au Bois-de-Lihus.
Nous demandons s'il a des nouvelles! Il avait eu le Journal de Rouen de vendredi, mais les Allemands le lui ont pris. Il a pu lire que Compìègne était occupé par l'ennemi et que l’on s’était battu près de Senlis. Ce ne sont plus, hélas!, des nouvelles.
Il nous dit aussi ce qui est plus intéressant, que les Russes occupent Lemberg, capitale de la Galicie.
Les Allemands occupent Amiens. M. Chevallier a lu dans son journal une proclamation du maire Fiquet, contresignée par l’autorité allemande.
II a lu également une proclamation du maire de Beauvais invitant les commerçants à laisser leurs boutiques ouvertes ; cela veut il dire que les Allemands sont à Beauvais ou simplement que l’on redoute leur arrivée.
M. de la Granville nous rapporte lui aussi des nouvelles un peu fantaisistes peut être, mais intéressantes à noter, car elles nous apprennent ce que l’on fait croire aux soldats allemands. Un sous-officier allemand lui a dit que le roi des Belges était prisonnier avec toute son armée, que Paris était investi, que Belfort était pris, que les Russes étaient battus, que l’Italie mettait sa flotte à la disposition de l’Autriche, que les Américains avaient canonné la flotte anglaise etc….
Et le sous-officier paraissait croire tout cela !
Tous officiers et soldats sont persuadés que c’est la France qui a voulu la guerre. Il est à peu près impossible de les détromper.
Lundi 7 septembre 1914
Comme le lundi précédent, celui-ci va-t-il marquer dans nos souvenirs ? Il y a 8 jours les Anglais nous quittaient pour faire place aux Allemands. Les Allemands vont-ils se retirer ce soir devant les Français ?
Hier soir, vers 9 heures, une vive fusillade se faisait entendre rue d’Alger. Les Allemands tiraient en l’air. C’était pour se faire ouvrir la maison M.de La Tullaye où était remisée la voiture du commandant de place, ça pressait parait il. M. Poilane, qui habite la maison voisine parut à la fenêtre et fit patienter un moment les Allemands. Peu après, c’était une galopade vers l'Oise et presque tous les Allemands quittaient Compiègne.
A 9 h.1/2 du soir, le commandant de place transportait son installation de l’Hôtel de Ville à l’hôtel de la Passerelle, près du chemin de fer.
C’est ainsi que ce matin, nous trouvons la ville à peu près débarrassée d’allemands. Le petit drapeau noir-blanc-rouge qui était sur le côté le la porte de l’Hôtel de Ville a disparu ; la plupart des Allemands avec fui. Cependant il y a toujours une quinzaine de soldats à la caserne, un factionnaire à la manutention, un autre au magasin à fourrages, quelques sentinelles au Rond Royal.
Sur la place de l’Hôtel-de-Ville, un autobus allemand stationne : on achève de dévaliser l’épicerie Ottmann.
Les allemands en se retirant de l’autre coté de l’Oise ont emporté la clé de la salle du Conseil municipal. Dans cette salle, ils ont laissé un shako, un revolver, une bicyclette.
M. de Seroux a dû se rendre à Margny avec le commandant d’étape. Nous l’attendons son retour avec impatience, avec inquiétude.
Vers 10 heures, il revient, fatigué mais satisfait. Les Allemands semblent se préparer à un prompt départ. Ils ont manifesté l’intention d’ajourner au lendemain la délivrance de tous passeports, c’est chez eux, un signe d’inquiétude
Ils ont remis à M. de Seroux divers documents, notamment le courrier qu’ils ont trouvé à la poste. Détail amusant, parmi ces pièces se trouve le rapport journalier adressé depuis le 31 août par un fonctionnaire à ses chefs. La poste ne fonctionne plus, qu’importe un fonctionnaire modèle a établi chaque jour un rapport qu’il dépose consciencieusement dans la boite...
Les Allemands vont-il donc partir ?
On n'ose y croire et cependant il y a quelque chose! Leurs fourgons ont déjà pris le chemin de Noyon. Ils ont arraché leurs blessés de leurs lits d'hôpital et leur ont fait prendre la route de la retraite. Des malheureux blessés ont été trainés en brouette.
Les simples éclopés hospitalisés à l’école Hersan ne sont pas partis, mais ils sont prêts au départ.
Le pont à bateaux établi par les Allemands a été miné, dit-on. S'il saute, les Compiégnois ont déjà décidé ce qu’ils feraient : on ramènera les péniches demeurées en amont et dès leur départ on rétablira un nouveau pont sur lequel pourront passer les troupiers français dès qu’ils arriveront.
Le canon fait rage. Pendant toute la matinée on l’entend. Il cesse brusquement vers midi.
Vers 11h.1/2 un aéroplane allemand a survolé la ville. Il n’est pas encore très loin vers le sud, qu’on le voit s’élever brusquement, comme s’il voulait éviter un danger. C’est donc que pour l’ennemi le danger est là, tout proche.
Cette journée est interminable. On attend des événements qui ne viennent
pas; on voudrait voir partir les Allemands qui ne partent pas. S’ils s’en vont, il en restera toujours au moins un à Compiègne : le cimetière du sud hospitalise le cadavre du jeune Von Putkamer, qui était, paraît-il, le fils du ministre des colonies de l’empire allemand.
Ce jeune officier de 21 ans, blessé dans un combat vers Béthisy, a été soigné à la Compassion. Il est mort après une agonie atroce et son enterrement a eu lieu aujourd’hui à 4 heures.
Un seul homme, le pasteur, a accompagné jusqu’à sa dernière demeure le cadavre du jeune allemand.
Dans la journée, des habitants de Béthisy nous donnent quelques détails sur les combats livrés dans leur région. Verberie et les deux Béthisy ont été pillés mais n’ont pas eu autrement à souffrir. Par contre, Saint-Sauveur a été éprouvé ; les Allemands s’y seraient conduits en véritables sauvages.
Les Allemands établissent à Verberie un pont de bateaux. On dit que des troupes françaises seraient à Sacy-le-Grand et que l’on aurait vu ce matin, des cavaliers français à Huleux. Autant de nouvelles qu’il est impossible de contrôler.
L’attente est longue et angoissante. Petit à petit s’envolent les espoirs conçus le matin et il n’en reste plus guère lorsque vient la nuit.