Mardi 8 septembre 1914
Ils sont encore là ! Nous espérions en être délivrés, tout en n’osant croire à tant de bonheur. Ce matin, nous avons encore tous nos Allemands. Ils semblent encore plus confiants que la veille. Mauvais signe.
Cependant le canon tonne toujours. On l’entend même plus distinctement. S’est-il rapproché ou bien est-ce le vent qui nous l'apporte plus
directement ? Quoi qu’il en soit, il est certain que les Allemands n’ont pas beaucoup avancé depuis 8 jours. Ils trouvent devant eux une résistance sérieuse. S’il en avait été ainsi depuis la Belgique, ils ne seraient pas chez nous.
Un peu avant 11 heures, nous entendons un bruit de chevaux, de roulements de chariots Nous allons voir encore défiler des Allemands. Nous regardons, des fenêtres de l’Hôtel de Ville. Un bataillon allemand passe; les hommes sont harassés, fourbus. Leurs sacs sont entassés dans des charrettes, où se vautrent des soldats, probablement trop fatigués pour marcher. Ces voitures sont conduites par leurs propriétaires, de bons paysans du pays de France, obligés d’abandonner leur village pour véhiculer les ennemis exténués.
Vers midi, d’autres soldats défilent encore dans les mêmes conditions. Ils chantent leurs hymnes qui ressemblent tant à des cantiques.
Quelle allure traînante, lourde, comme désespérée. Ces bataillons qui passent sont un pauvre troupeau s’en allant tristement vers la boucherie. Ces hommes ne reverront sans doute jamais leur Allemagne. Leurs dépouilles engraisseront nos champs et de leurs chairs sortira l’an prochain le bon blé français :
Puisque tout meurt ce soir pour revivra demain,
Puisque c’est un engrais que le meurtre et la guerre
Puisque, sur une tombe, on voit sortir de terre
Le brin d’herbe sacré qui nous donne le pain.
Victimes qui allez mourir pour votre César, beaucoup des vôtres sont déjà incorporés à la terre française. Tel ce jeune officier que l’on enterrait hier : ce malheureux, cet enfant de 21 ans, avait perdu les deux yeux, l’un de ses bras avait été emporté, une horrible blessure déchirait l’une de ses cuisses. Pendant deux jours il avait été abandonné sur le champ de bataille; les vers s’étaient installés en maitres dans ses inguérissables blessures.
Transporté à la Compassion, il y mourait après une cruelle agonie. Tantôt, dans son délire furieux, il rêvait de combats et il voulait, aveugle, sanglant, recommencer à batailler contre les Français. Tantôt, d’une voix plaintive, suppliante, il appelait sa mère. Pas une fois le mourant ne parla de son père, le haut dignitaire de la cour impériale, l’un des complices de cette guerre criminelle....
Un Allemand nous dit aujourd’hui que Maubeuge est pris : 400 canons, plusieurs généraux, 45000 prisonniers seraient aux mains de nos ennemis.
Cette nouvelle manque de confirmation. Nous venons de lire le Journal de lundi, apporté par un voyageur qui a réussi à venir de Paris à bicyclette.
Ce journal nous apprend que le gouvernement s’est installé à Bordeaux et que la Triple Entente est devenue la Triple Alliance, résolue à aller jusqu’au bout c’est à dire jusqu’à la ruine définitive de l’empire allemand. Voilà une bonne nouvelle. Qu’importent, après cela, les tristesses de l’heure présente. Nous souffrirons, c’est entendu ; nous vaincrons, c'est certain.
Les nouvelles confuses que nous trouvons sur les combats livrés par notre armée ne nous apportent rien de bien intéressant.
Les nouvelles de Russie ne sont pas aussi encourageantes que nous l’aurions désiré. Si les Russes allaient aussi vite si que les Allemands, ils se rapprocheraient vite Berlin ... et ils en sont encore bien loin.
Les télégrammes de Russie sont datés de Pétrograd. Nous ne connaissons pas cette ville. Ce doit être le siège du quartier général de l’armée russe et si nous savions où elle se trouve, cela nous renseignerait sur la position de l’armée russe. Mais sur aucun atlas nous ne trouvons Pétrograd. C’est sans doute une localité de peu d’importance.
Le Journal nous apprend encore que nous avons un Pape et qu’il s'appelle Benoit XV. Il ne nous donne pas le nom famille du nouveau souverain pontife. Selon les uns ce serait un bénédictin, le cardinal Serafini (?). Le nom de «Benoit» choisi par le nouveau papa indiquerait assez des attaches bénédictines. D’autres pensent que le Pape serait le cardinal Serafíno Vanutelli qui, déjà, avait eu des partisans au Conclave de 1903.
Nous ignorons quel est le nouveau chef de la chrétienté, mais nous souhaitons que le Père des fidèles ne voie pas périr un trop grand nombre de ses fils. Devant la puissance du Mai, représentés, par Guillaume le Sanguinaire et son vassal, le vieux François-Joseph, l’Homme Blanc du Vatican saura se dresser et revendiquer les droits de l’humanité !