A mon retour à la mairie, j’apprends de nouveaux événements.
M. Fleuret et M. Lebargy étaient montés au beffroi afin de scruter l’horizon, de voir s’ils n’apercevaient point d’uniformes français. Deux officiers allemands montent derrière eux et s’imaginent que nos deux compatriotes sont là pour faire des signaux aux Français. M. Fleuret, qui porte le brassard bleu de la police municipale, n’est pas inquiété. Mais M. Lebargy est arrêté, fouillé, conduit chez lui où les Allemands perquisitionnent. Finalement, il est relâché.
Vers 5 h.1/2, on voit des troupes allemandes descendre du coteau de Margny Quelques cavaliers, des fantassins, des chariots, des blessés. Tout cela stationne longuement place de l’Hôtel de Ville, tandis que la rue Mounier est pleine de chariots prêts à partir.
Deux chariots de ces convois sont conduits par des charretiers de M. Camus. Ces braves gens avaient été emmenés lundi par les Allemands qu’ils avaient accompagnés jusqu’à Verberie. Puis ce fut la déroute. Le Allemands laissèrent beaucoup des leurs par là et durent se replier en tout hâte. Ils ont la sensation d'être complètement environnés des Français, nous disent les charretiers.
Vers 6 h.1/2 du soir le canon qui s’était tu reprend sa mâle chanson. Il semble plus près encore cette fois, ses grondements se répercutent, deviennent terribles ! Et la nuit qui vient rend cette soirée plus tragique encore.
Pourtant quelqu’un circule malgré la nuit, malgré l’eau qui tombe, malgré le canon. C'est la docteur Wurtz que l’on a appelé près d’une femme de Venette ou de Royallieu. Sans souci du danger il va où le devoir l’appelle.
Bientôt c’est la nuit noire. Tout se tait. Que nous réserve demain ?
Samedi 12 septembre 1914.
Que va être cette journée. Hier, on prévoyait le prompt départ des Allemands.
Ce matin, ils sont encore là et, comme chaque jour, je vois un factionnaire à la Manutention. Il semble veiller avec un soin jaloux sur mon ami Raoul Lefèvre qui depuis l’arrivée de l’ennemi, est chargé de la distribution du pain à la horde.
Tâche éreintante et non sans danger. L’autre soir, son travail ne se terminait qu’à 10 h. du soir et il lui fallut, en pleine nuit, regagner son domicile. Naturellement il fut arrêté par une patrouille avec une douceur que nos vainqueurs d'un moment savent mettre à ce genre d’opérations. Le lendemain, il demandait et obtenait du Hauptmann un laissez-passer en règle, ce qui lui permit de rentrer chez lui sans trop de difficultés. Arrêté, il montra son précieux papier, devant lequel les Allemands firent le salut militaire.
Nos ennemis ne sont d’ailleurs pas avares de saluts. Ils font volontiers le salut militaire en passant devant la statue du Major Otenin tué en défendant Compiègne contre leurs pères, il y a cent ans. Ils saluent également la médaille de 1870 de M. de Moussac.
Mais, aujourd'hui les Allemands ne songent guère aux marques extérieures de respect. Ils sont inquiets; leur nervosité frise l’affolement.
Ils installent de nouvelles lignes de défense. Ils se retranchent dans le cimetière de Venette ; ils ont des canons sur les hauteurs, à Margny, au Réservoir des Eaux.
Le boulevard Gambetta est devenu un rempart ; les maisons Rohan-Chabot, Ternisien, l’école Saint-Germain sont transformées en blockhaus. Défenses analogues de l’autre côté de la ville, vers Choisy et la route de Soissons.
À l'école Saint Germain, les Allemands retiennent prisonniers M. Caron, instituteur, et les réfugiés de Verdun, hospitalisés dans ce local. Le voyer de la ville, M. Lacour, qui s’était rendu à l’école Saint-Germain, y est également retenu. Les Allemands prétendent que ces personnes se trouvant dans leur ligne de défense ne doivent plus en sortir.
La vérité c’est que l’ennemi, avec sa férocité habituelle, veut se faire un rempart de ces français contre une attaque française. La preuve, c’est qu’ils obligent l'instituteur, M. Caron, à monter au premier étage, c’est-à dire l’endroit le plus exposé en cas d'attaque ou de bombardement.
Un employé des postes qui, depuis l'arrivée des Allemands sert bénévolement dans la police municipale, est envoyé à Margny pour une mission auprès du commandant d’étape. Il est retenu comme prisonnier.
M. de Seroux multiplie les démarches auprès du commandant Sabath et des généraux. Il réussit à obtenir vers 10 h. la mise en liberté de M. Lacour. Il revient à la charge et finit par obtenir également la délivrance de M. Caron et des réfugiés de Verdun. A remarquer que les réfugiés hospitalisés à l’école Saint-Germain sont des femmes, des vieillards, qu'il y a parmi eux des enfants de moins de cinq ans.
Mais les Allemands sont si affolés qu’ils arrêtent un peu tout le monde. Hier soir, ils ont arrêté, malmené et détenu pendant vingt minutes
M. Poilane qui, vers 9 h. se rendait à la mairie.
Le 1er septembre, c’était Vaillant que l’on mettait en état d’arrestation, après luí avoir pris deux chevaux, appartenant à l’armée, et qu’il avait reçu l’ordre de conduire au champ de courses.
Lorsqu’ils ne s’amusent pas à molester les gens, les Allemands volent. Ce matin, ils ont repris le pillage de l’épicerie centrale où pourtant ils n’avaient pas laissé grand-chose l’autre jour ; ils ont envahi le presbytère de Saint-Jacques, vidé la cave de M. Dejardin et accompli beaucoup d’autres exploits tout aussi héroïques. M. le docteur Wurtz nous donne quelques idées sur les événements de la veille. La canonnade du soir a tué deux allemands et en a blessé 18, rue de Paris.
Plusieurs maisons du quartier Saint-Germain ont été endommagées par les obus mais aucun français n’a été atteint. Le logement de l’économe des Hospices, M. Bouchez, est crible d’éclats et de shrapnells.
A 1h.1/2, M. de Seroux est seul à la Mairie. M. Martin, les employés qui demeurent dans la zone de défense allemande sont probablement bloqués chez eux. Compiègne se trouvait déjà coupé en deux, depuis que le passage de l’Oise était interdit. Voici maintenant la ville est séparée de toute la partie située au-delà du boulevard Gambetta.
Quelle administration méfiante, tatillonne, sotte que cette administration militaire allemande. Ces gens sont capables des plus incroyables folies. Tout leur porte ombrage, une femme qui passe est suspecte : Mme Onimus voyant que l’on dévalisait la maison da M. Fournier Sarlovèze, voulut en avertir la mairie. Elle laissa chez elle sa mère octogénaire, traversa la ligne de défense et vint à l’Hôtel de Ville. Lorsqu’elle voulut s’en retourner, impossible. Une consigne idiote l’empêcha de regagner son logis, d’aller rassurer sa vieille mère inquiète, isolée au milieu de la soldatesque allemande.
Autre exemple, M. Couturier, directeur de l’électricité, avait été mandé par le commandant de la gare pour installer la lumière électrique à la gare. Pour aller à la gare, il faut traverser l'Oise ; pour traverser l’Oise, il faut un laissez-passer, signé du commandant d’étape; pour avoir ce laissez-passer, il faut traverser l’Oise puisque le commandant est à Margny. Impossible donc de se rendre à la gare et M. Couturier, requis par l’autorité allemande d’aller de l’autre côté de l’eau était empêché d’y aller par cette même autorité!...