En 1914, Albert Robida a 66 ans; il a prévu de passer avec sa famille le mois d'août 1914 à Compiègne, auprès de son frère et a loué sa villa, assurant le gardiennage. Il vient d'arriver à Compiègne quand la France décide la mobilisation générale. Le 3 août l'Allemagne déclare la guerre à la France et trois de ses fils sont mobilisés.
Compiègne parait loin de la frontière. Mais la désastreuse bataille de Belgique entraine la retraite rapide de l'armée française et l'aile droite de l'armée allemande fonce sur Paris. Compiègne va se retrouver en première ligne...Il faut rentrer à Paris, mais la maladie de sa belle-mère retarde le retour.
Robida met à profit ce retard pour dessiner sur le vif, ce dont témoignera la parution en 1919 de "Autour de Compiègne en août 1914 - Impressions des heures vécues par Robida", un album de sept eaux-fortes documentaires avec textes et légendes dont vous retrouverez le contenu avec chaque document.
Consultez les sept eaux-fortes :
Albert Robida est né à Compiègne rue des Boucheries le 14 mai 1848. Il est encore clerc de notaire dans une étude de Compiègne, quelques jours avant que quatre de ses dessins paraissent le 24 novembre 1866 dans Le Journal amusant —périodique alors fort célèbre— et viennent révéler son talent de dessinateur. Ceux-ci confirment une vocation innée et annoncent l'exceptionnelle carrière de leur auteur.
Dès lors, il multiplie les dessins dans les nombreux journaux qui paraissent à la fin du Second Empire décrivant, sur le ton de la caricature, les mille détails de la vie parisienne. L'illustrateur triomphe peu après dans La Vie parisienne où il crée un type de femme caractéristique : d'une féminité épanouie, la parisienne selon Robida, affiche une indépendance mutine et une allure pour le moins pittoresque. Elle fera la gloire de La Caricature, journal satirique que Robida publie presque seul de 1880 à 1892. Ses dessins sont partout: Almanach Vermot, Journal des voyages, Le Monde moderne, La Nature, Le Petit Français illustré, La Vie élégante... L'artiste fait également paraître plusieurs ouvrages, échos de ses voyages en Europe, évocations aimables des sites fameux d'Italie, de Suisse, d'Allemagne, d'Espagne et bien sûr de France.
Il n'a de cesse d'illustrer quelques grands chefs-d'œuvre de notre littérature européenne: Shakespeare, Cervantès, Villon, Rabelais, Swift, Walter Scott, Balzac, George Sand, Dumas, Mistral... Introduit partout, il dessine sans cesse : illustrations, vignettes, ornements, ex-libris, menus, affiches, cartes de visites, cartes postales ; rien ne le rebute, rien ne le lasse...
Son imagination l'entraîne à inventer l'avenir. Dès 1867, ses dessins d'anticipation évoquent le futur XX siècle. Ses inventions fantastiques ou ses guerres meurtrières sont tempérées par une fantaisie, voire une loufoquerie, truculente. Le vingtième siècle, paru en 1883, ou La vie électrique, de 1890, demeurent parmi les plus célèbres ouvrages du genre. Au vrai, Robida apprécie plus le passé que l'avenir et s'attarde volontiers à l'évocation d'un Moyen Age idéal. Ainsi conçoit-il, pour l'exposition universelle de 1900, la reconstruction d'un quartier du vieux Paris au bord de la Seine.
II convient aussi de souligner son activité littéraire; sa plume est aussi féconde que son crayon, du livre d'histoire au conte pour enfant.
Plusieurs livres de Robida sont consacrés à Compiègne et témoignent de son attachement à sa ville natale, tel Les assiégés de Compiègne. Ce livre paraît en 1905 dans la collection Plume et Crayon de l'éditeur d'art H. Laurens.
En 1909, Fournier-Sarlovèze, maire de 1904 à 1935, fait appel à son talent à l'occasion de la première grande fête Jeanne d'Arc dont il dessine l'affiche. S'y ajoutent plusieurs séries de douze cartes postales consacrées à la geste de l'héroïne, publiées par Baudelot en 1912. La série a pour théâtre Compiègne. Plusieurs dessins montrent divers aspects du Compiègne médiéval ou contemporain de l'artiste, y compris pendant les heures tragiques de 1914 où la guerre le surprit en nos murs. Sept eaux-fortes illustrent l'ouvrage Autour de Compiègne en août 1914 paru chez D'Alignan en 1919. Réalisé chez maître Rouart, au temps où sa belle écriture l'avait fait engager comme clerc de 1862 à 1866, le Manuel du parfait notaire, qui décida, dit-on, de sa carrière en signalant son talent au dessinateur Cham, semble confirmer la légende selon laquelle ses caricatures auraient incité son patron à lui recommander une tout autre voie.
Robida resta toujours attaché à sa ville natale dans laquelle il revenait régulièrement, lui qui déclarait à Ferdinand Bac en lui montrant la façade de l'hôtel de ville : Voilà le berceau de ma carrière! C'est ce décor qui est à l'origine de tout! Je me suis senti tellement uni à lui que je ne pouvais plus m'en séparer. Il m'a hanté toute ma vie et même dans l'actuel si absorbant, il arrive au premier plan et s'impose comme une vision du temps de Rabelais! Son talent protéiforme, son œuvre immense témoignent d'un esprit curieux, ouvert et passionné, à la devise évocatrice : Ecarquille tes yeux à la beauté des choses.
Texte d'Eric Blanchegorge, tiré de l'ouvrage "Mémoire de Compiègne", ed. J. Marseille