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Malgré les nouvelles officielles mauvaises, le Bureau de la Place essaye d'enrayer la panique. C'est sans douté dans cet esprit qu'il fait gravement afficher, par ordre, au tableau des dépêches de l'hôtel de ville, l'avis suivant :
"Le Bureau de la Place avise l'administration municipale que le nommé P..., vient d'être arrêté pour avoir annoncé que les Allemands étaient à Coudun. Le public est informé qu'il en sera de même pour toute personne qui colportera de fausses nouvelles".

Dans l'intervalle, il a fallu songer à évacuer l'encaisse de la Recette des Finances qui était très importante (8 millions) en raison des versements effectués par les percepteurs voisins.
Depuis qu'ils ont appris les derniers événements, les réfugiés que l'on avait répartis dans les environs sont revenus à Compiègne et y compliquent le problème du ravitaillement. Leur retour s'accentuera encore durant l'occupation allemande.
Les hôpitaux, peu garnis, sont vidés complètement par les soins du Service de Santé. La fin de la journée se passe dans l'attente. Bien que la gare soit fermée, les trains de bestiaux sont pris d'assaut et il restera à peine le lendemain 5.000 âmes sur 17.000. Trois mille blessés sont passés en gare sans s'arrêter. On a vu le retour des débris du régiment qui montait il y a peu de jours sur Saint-Quentin. Le général de Seroux commandant d'armes, attendant l'ordre du départ, s'est rapproché de la gare avec son personnel et ses archives. Vingt-neuf wagons sont nécessaires pour l'évacuation des bureaux militaires.

A l'heure qu'il avait fixée, le maréchal French quitte l'hôtel où il avait ses appartements privés. Ses bagages personnels sont chargés sur des automobiles qui partent à la suite de l'armée dans la direction de Crépy-en-Valois, sous le couvert de la forêt. Il n'a laissé derrière lui qu'un petit détachement du génie chargé de faire sauter les ponts.
Dès le 31 matin, les habitants des maisons voisines, dans un très large périmètre sont éloignés par mesure de prudence. On attend, paraît-il, l'ordre qui ne saurait tarder. Pour le moment, un très jeune officier anglais dispose son cordon de mine jusque la rue Eugène-Floquet, d'où il fera partir le coup. 
Les quelques curieux qui restent dans la ville sont postés en haut de la rue Solférino. Après une sonnerie de clairon à 11 heures 5 exactement, le pont de Compiègne n'existe plus. Il a paru se lever dans un nuage de poussière, dans un arrachement sourd qui ébranla toutes les maisons. Du bon vieux pont naguère si fréquenté il ne reste plus qu'une arche et une masse énorme de moellons et ferraille qui s'est effondrée dans la rivière. Des pigeons et des poissons se débattent, asphyxiés ou blessés, dans une eau noire et puante (Document)

La pile minée s'est écroulée dans l'Oise, entraînant ses deux arches. Elle n'est plus qu'un petit tas de pierres au milieu de l'eau. L'autre travée, tenant à la rive droite mire toujours, intacte, son demi-cercle volumineux dans le reflet de la rivière. Les canalisations d'eau et de gaz sont détruites. Tout le quartier d'amont est privé de ces deux commodités. Fort heureusement, aucune maison voisine n'est atteinte et les habitants anxieux regagnent leur logis au moment où un autre coup, plus sourd, annonce la destruction du pont de chemin de fer de la ligne de Soissons. Là les dégâts sont plus importants. L'une des deux piles de pierre s'est affaissée, entrainant le double tablier du pont arraché par l'explosion formidable. Le déplacement d'air a fait remonter l'eau d'un mètre sur la berge. Les toitures des immeubles riverains ont été enlevées violemment. Plusieurs maisons sont rendus inhabitables et nécessiteront d'importantes réparations.
Les heures à partir de ce moment, s'écoulent lourdes, interminables et énervantes. Un nouvel appel au calme est adressé à la population par les adjoints. Il est aussitôt affiché à l'hôtel de ville :

« Aux Habitants de Compiègne,
La Municipalité qui entend faire son devoir jusqu'au bout est restée à son poste. Il faut envisager les éventualités, même les plus graves. Si l'ennemi vient occuper notre Ville, les habitants doivent faire preuve de calme et de sang-froid et se garder de tout affolement et de panique. Ils s'abstiendront de tout acte d'hostilité et de tout usage d'armes (Document) certaines personnes ont paru s'étonner que l'on ait fait sauter le Pont de Compiègne ; la municipalité est tout à fait étrangère à cette opération, faite en dehors d'elle par l'autorité militaire française, pour raison de stratégie.
Pour le Maire absent :
les adjoints, DE SEROUX, H. MARTIN.»